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Interview

Patrick Kanner : «Quand l’inversion de la courbe sera effective, tout le reste deviendra visible»

Le ministre de la Ville défend le bilan du gouvernement, quitte à assumer les promesses oubliées du candidat Hollande devenu Président.
Patrick Kanner, lors du meeting de «Hé oh la gauche !», lundi soir à Lille. (Photo Aimée Thirion pour Libération)
publié le 6 juillet 2016 à 7h11

Dans son bureau, Patrick Kanner a la pêche. Le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports vante le projet de loi «égalité et citoyenneté». Le texte doit être adopté en séance ce mercredi et examiné au Sénat en septembre. Il parle de l'engagement des jeunes et du service civique. Regarde ses fiches pour éviter de se perdre en route. Défend son bilan avec force et celui de François Hollande. Genre, «un jour ou l'autre, la France nous dira merci pour le travail accompli». Patrick Kanner assume les promesses oubliées – le droit de vote des étrangers et le récépissé pour lutter contre les contrôles au faciès. Le temps passe. Il regarde sa montre et quitte la pièce. Le ministre passe sa soirée de mardi à Lille avec sa bande de «Hé oh la gauche !» pour défendre une fois de plus le quinquennat : un job à plein temps.

Quel est votre bilan après le passage du projet de loi égalité et citoyenneté à l’Assemblée nationale ?

Mon bilan ? C’est que la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose. Sur toutes les mesures les plus progressistes, la droite s’est opposée avec force. La majorité a tenu bon et il en ressort un texte important du quinquennat.

Certains de vos camarades à gauche et l’opposition parlent d’une loi fourre-tout…

C’est vrai, le projet de loi agit sur une multitude de leviers. Cela peut donner l’impression d’un foisonnement mais, en réalité, nous répondons à un objectif cohérent de renforcement de la digue républicaine. Après les attentats, il fallait une indispensable réponse immédiate, sécuritaire. Mais chacun a conscience que cela ne suffit pas. Nous avons aussi besoin d’une réponse de long terme, sociale et éducative. Nous devions notamment rétablir l’autorité de l’Etat en montrant qu’il était toujours le garant de l’égalité. Et dans le même temps, nous devions donner un débouché à une mobilisation citoyenne manifeste. C’est la philosophie même de ce projet de loi.

Mais pour la jeunesse en galère qui veut un job et un logement avant de s’engager, avez-vous inversé l’ordre des choses ?

Mais c'est à l'emploi et au logement que nous nous sommes attaqués prioritairement depuis 2012. Il y a eu un jeu de vases communicants entre la loi travail et la loi égalité et citoyenneté, mais l'essentiel est que nous parachevons notre action en universalisant certains droits : celui à la formation avec le CPA [compte personnel d'activité, ndlr], qui sera abondé spécifiquement pour les jeunes en service civique et sans formation, droit à l'emploi avec la garantie jeunes et l'allocation de recherche du premier emploi, droit à la santé avec le bilan santé-prévention-droits sociaux pour tous les jeunes, droit au logement avec le cautionnement locatif jeunes. Et j'ajouterais même droit à la mobilité avec une mesure très novatrice de financement du permis par le compte de formation professionnelle. L'engagement est un plus, mais c'est aussi une demande de la part des jeunes, en particulier depuis les attentats. Nous y répondons notamment en développant le service et la réserve civiques ouverts aux mineurs de plus de 16 ans.

Et comment allez-vous faire pour éviter que le service civique ne se transforme en travail dissimulé ? Des contrôles supplémentaires ?

Nous avons introduit des garde-fous dans la loi, notamment en permettant aux organisations syndicales d’avoir un droit de regard sur la présence de services civiques et en précisant que le jeune volontaire ne peut être sélectionné que sur la base de sa motivation et non de ses compétences, ce qui donnera une base juridique à des contrôles supplémentaires. Nous élargissons donc le nombre de structures pouvant accueillir les volontaires, sans mettre en péril la qualité des missions.

Vous avez l’air content de votre bilan mais rien ne change, notamment dans les quartiers populaires, où la défiance grandit chaque jour un peu plus à l’égard du gouvernement. Une explication ?

Je ne peux pas vous laisser dire que rien ne change. Cela prend du temps, mais des quartiers entiers se transforment et je pense sincèrement que, grâce à notre action, les jeunes vivront mieux en 2017 qu’en 2012. C’est encore difficile à percevoir, parce qu’il y a le plafond de verre du chômage. Quand l’inversion de la courbe sera effective, tout le reste deviendra visible. N’oublions pas non plus le camp d’en face. Lorsque nous verrons la dureté du programme que nous réserve la droite, j’espère qu’il y aura une prise de conscience de la valeur de notre action, résolument de gauche.

Mais vous auriez pu aussi faire des choses plus fortes, plus visibles. Comme le récépissé lors des contrôles au faciès, que vous avez une nouvelle fois écarté alors que c’était l’une des promesses fortes du candidat Hollande…

L'engagement numéro 30 de François Hollande ne comportait pas la mention d'un récépissé. [«Je lutterai contre le "délit de faciès" dans les contrôles d'identité par une procédure respectueuse des citoyens, et contre toute discrimination à l'embauche et au logement. Je combattrai en permanence le racisme et l'antisémitisme.»] La caméra-piéton répondra aux attentes contre le délit de faciès, notamment avec son déclenchement obligatoire lors de chaque contrôle d'identité, que nous allons expérimenter. Tous les policiers effectuant des contrôles sur la voie publique doivent être équipés et porter leur matricule. Et ensuite, une personne qui estime avoir subi de nombreux contrôles abusifs pourra le faire constater grâce aux vidéos.

La caméra-piéton est une méthode moderne. La vidéo enregistrera aussi le son, ce qui permettra de vérifier le déroulement de l’intervention policière et le fait qu’il n’y ait pas de tutoiements abusifs, par exemple, ce que le récépissé ne permet pas. Dans le contexte rappelé par le ministre de l’Intérieur – Magnanville, l’état d’urgence, la mobilisation contre la loi travail –, je crois qu’il faut se féliciter de cette décision.

Donc, selon vous, la caméra pourra apaiser les liens entre les jeunes et la police, et lutter contre les contrôles abusifs des Arabes et des Noirs ?

Oui, les enregistrements vidéo pourront être des preuves versées dans une procédure engagée par un citoyen qui estime s’être fait contrôler abusivement.

Vous êtes d’accord avec le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a indiqué qu’il n’y avait pas de problème de «contrôle au faciès» ?

Bernard Cazeneuve a simplement rappelé qu’il ne fallait pas jeter la suspicion sur l’ensemble d’une profession. Il a aussi répété que, si un policier commettait un acte raciste, il serait sanctionné.

Mais ça paraît difficile que les vidéos des caméras-piéton des millions de contrôles d’identité par an soient consignées et accessibles pour tout le monde…

C’est sûr, conserver des quantités importantes de données exige des garanties, à la fois en termes de publicité et de libertés publiques. La question se pose dans les mêmes termes avec le récépissé, qui donnerait de fait lieu à la constitution de fichiers de grande ampleur. Il faut traiter ce sujet sans démagogie.

Vous savez qu’en politique, le symbole est important, c’est une sorte de preuve d’amour. Et que le récépissé a une valeur symbolique très forte, comme le droit de vote des étrangers, une promesse oubliée…

Je préfère l’action aux symboles. Les attentats ont souligné des failles qu’il fallait corriger. Développer l’engagement des jeunes, quelle que soit leur origine ou leur situation territoriale, c’est une réponse politique forte. Le service civique pour 350 000 jeunes, c’est pour moi un symbole bien plus important. Par ailleurs, l’abandon du droit de vote des étrangers est la conséquence du refus obstiné de la droite de voter cette réforme. Nous avons donc privilégié les naturalisations, en nette augmentation depuis 2012.

Vous préférez peut-être l’action «aux symboles», mais après les attentats de novembre, le gouvernement a proposé la déchéance de nationalité : une mesure dite symbolique qui a fracturé son camp et blessé des millions de Français…

Cette proposition a été faite, au contraire, dans une logique de rassemblement et de consensus national. Après, les calculs politiciens ont repris le dessus. Aujourd’hui, la déchéance est derrière nous.