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Libération
à la barre

Serge Dassault sèche son propre procès

Jugé pour blanchiment de fraude fiscale, l'avionneur se fait représenter par ses avocats, qui multiplient les arguties procédurales. Car sur le fond la messe est dite : Dassault a bien planqué 31 millions d'euros à l'étranger.
Jacqueline Laffont, François Artuphel et Pierre Haïk, les avocats de Serge Dassault, au palais de justice de Paris, lundi. (Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 6 juillet 2016 à 12h57

Le président du tribunal ne peut que répéter le «droit de se taire» d'un prévenu, se nommerait-il Serge Dassault, 6e fortune française. Qui, donc, ne comparaît pas à son propre procès, qui a débuté lundi pour s'achever jeudi. Car il n'y a rien à dire si ce n'est le rappel des faits, établis par l'enquête et admis par lui-même : après avoir longtemps dissimulé des fonds au Luxembourg, au Lichtenchtein ou aux îles Vierges, le sénateur LR s'est sagement adressé en juillet 2014 à la cellule de dégrisement mise en place par Bercy à la suite des affaires HSBC et Cahuzac. Puis a réglé sans ergoter une amende fiscale de 20 millions d'euros. Et fait parallèlement amende honorable auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Reste à qualifier pénalement les faits. Infraction au code électoral pour omission déclarative auprès de la HATPV, chargée de contrôler le patrimoine des élus, et blanchiment de fraude fiscale, selon l'accusation. Si les avocats de Serge Dassault paraissent prêts à plaider coupable sur le premier point (délit accessoire, toutefois passible de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende), ils ferraillent sur le second (délit plus outrageant, passible de cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende). MJacqueline Laffont a entamé en préambule : «On parle de basses manœuvres dilatoires, toujours la même litanie. Mais cette procédure pénale a emprunté, sur la forme et sur le fond, des chemins hasardeux.»

«Exercice intellectuel»

Après avoir déposé le premier jour deux Questions prioritaires de constitutionnalité, rejetées mercredi matin, sa défense aura eu le toupet de réclamer un supplément d'information – entraînant de facto une suspension du procès – en vue de faire témoigner… Serge Dassault. Lequel avait prétexté un «voyage d'affaires» pour ne pas répondre à une précédente convocation durant l'enquête préliminaire diligentée par le parquet. Après cet authentique foutage de gueule, Me François Artuphel développe un vice de forme bien plus sérieux. C'est dans le cadre d'une demande d'entraide internationale du Parquet national financier (PNF) à la justice luxembourgeoise que l'essentiel des éléments bancaires ont été récupérés. Mais les autorités grand-ducales avaient conditionné leur coup de main. D'accord s'il s'agit de poursuivre une fraude électorale, qui existe dans son propre code pénal, mais pas un blanchiment de fraude fiscale: «Cette infraction n'étant pas incriminée au Luxembourg, l'entraide ne pourra pas être accordée de ce chef.»

La justice française paraît toutefois en avoir fait son miel pour nourrir l'accusation de blanchiment. «Contrairement aux exigences claires et nettes, répétées et réitérées, du parquet général du Luxembourg, le PNF a utilisé ces pièces de façon globale, pour les deux infractions», dénonce Me Artuphel. L'argument porte, poussant la représentante du parquet à l'audience, Ulrika Delaunay-Weiss, dans ses retranchements, bien obligée de concéder que le tribunal devra se prêter à un «exercice intellectuel : utiliser ces pièces uniquement pour l'infraction électorale, car la position du Luxembourg nous oblige». Au risque de ne plus pouvoir prouver le blanchiment ? C'est le secret espoir de Serge Dassault, auquel le tribunal devra répondre au fond dans son jugement.