Emmanuel Macron ? Loin de Paris, beaucoup de Français ignorent encore tout de l'ambitieux ministre de l'Economie. Bernard, 63 ans, électricien de Bapaume (Pas-de-Calais), rencontré chez Zigana, un kebab sur la rue principale de Fouquières-lès-Lens (Pas-de-Calais), a choisi Hollande en 2012, et a toujours plutôt voté socialiste. Mais c'est fini. «Je ne vote plus, ils n'écoutent pas le peuple. Je regrette de ne pas avoir voté madame Le Pen.» Macron ? Il ne voit pas bien qui c'est. Comme son beau-fils Romain, 25 ans, éducateur qui travaille «avec des jeunes à la rue», qui ne connaît Macron «que de nom». L'image de l'ex-banquier de Rothschild apparaît toujours aussi clivante. A gauche, bien sûr, mais aussi dans les quartiers populaires, comme chez certains start-uppers de la nouvelle économie.
Parce qu’il fait trop le buzz et qu’il n’est pas loyal
Dans le nord de Marseille, la cité Bassens avait été choisie par Emmanuel Macron pour une visite le 27 mai, finalement annulée. C'est par l'intermédiaire de Samia Ghali, la sénatrice et maire socialiste des XVe et XVIe arrondissements de Marseille, elle-même originaire de la cité, qu'il avait choisi ce lieu. «Nanou», 42 ans, est agent territorial dans une crèche et responsable de l'association Femmes de Bassens. Elle pose la question, en forme de critique : «Il n'est pas un peu arriviste, ce Macron ? Tout ce qu'il veut, c'est faire le buzz !» La carte de la jeunesse se retourne contre le ministre. «Il n'a pas beaucoup d'expérience, il est plus jeune que moi ! poursuit-elle. Je sais bien qu'il faut donner sa chance aux jeunes, mais qu'il prouve déjà qu'il sait faire son travail et, après, on verra. Le pays va presque tomber, tu es ministre de l'Economie, préoccupe-toi de cela avant de penser à ton nombril !» La question de la loyauté à François Hollande revient à plusieurs reprises. «Macron, je l'aimais bien au début», dit Bernard, DRH à la retraite, qui se dit «à droite»tendance Juppé. Mais Macron l'a déjà déçu : «Un opportuniste. Il crache dans la soupe à Hollande. Il n'est pas solidaire, trop ambigu. Je n'aime pas ça.» Myticulteur et figure de Palavas, Claude, 63 ans, estime lui aussi qu'on ne peut pas faire confiance à Macron : «Ce gars veut faire la pige à Hollande, il le prend pour un con et le fait passer pour un imbécile. C'est pas un mec fiable car ce qu'il fait n'est pas honnête.»
Parce que c’est un produit de l’establishment
Habitante de la cité Bassens de Marseille, Keira, 41 ans, aide-soignante, n'y va pas par quatre chemins : «Emmanuel Macron, il va changer quoi dans ma vie ? Et puis, comment un banquier peut atterrir comme ça dans la politique ? C'est comme si moi qui suis aide-soignante, je passais directement au statut d'infirmière anesthésiste juste parce que je me suis fait bien voir dans mon taf.» Même critique de Farida, 45 ans, agent de service : «C'est comme avec Sarkozy, j'ai l'impression qu'ils ont fait la même école ! C'est un banquier, il joue à faire fructifier l'argent, il sait déshabiller Pierre pour habiller Paul.» «Macron, ah oui, le petit jeune qui est allé à Davos…» soupire Mario, électricien rencontré à La Bassée (Nord), entre Lens et Béthune. «J'ai un peu de mal. Il est plus proche du Medef que de la gauche. Ça ne correspond pas aux idées pour lesquelles j'ai voté Hollande en 2012.»
Parce que quand on est à gauche, on le trouve trop à droite
Macron ? C'est «du foutage de gueule», dit avec le sourire Thibault, 20 ans, étudiant en histoire à Arras (Pas-de-Calais), rencontré dans le kebab de Fouquières-lès-Lens. «On ne peut pas se dire de gauche et contre le monde de la finance, et choisir un banquier de chez Rothschild comme ministre de l'Economie ! Comment il peut se permettre de critiquer les ouvriers sur leur tenue vestimentaire [allusion à l'affaire du tee-shirt, ndlr] ? Ça me fait penser aux "sans-dents" de Hollande, dans le livre de Valérie Trierweiler ! Ce sont des gens qui doivent leur carrière au peuple mais qui n'ont aucune proximité avec lui, et vont jusqu'à insulter et rabaisser la classe ouvrière.» Antoine Fournier, 25 ans, militant socialiste à la section «François Mitterrand» (Amiens Nord), n'aime pas trop non plus le «libéralisme» du ministre, «un cran au-dessus» de la politique menée : «Ce qu'il propose en termes de déréglementation ne me convient pas.» Comme il n'apprécie pas qu'on se dise «ni de droite ni de gauche».
Parce que sa politique économique est peu lisible
A Numa, l'incubateur de start-up, le parcours de Macron aurait pu séduire Chafik, 27 ans. Mais le fondateur d'Apiloop est sceptique : «J'ai du mal avec ses discours. J'ai surtout l'impression qu'il ne sait que séduire les start-up, c'est bon pour son image.» Fanny, qui travaille chez Dyna Model, start-up créée pour faciliter le contact entre mannequins et créateurs, esquisse un sourire en coin lorsqu'on lui parle du jeune ministre. Elle admet avoir du mal à cerner sa politique économique. «En fait, j'ai l'impression qu'elle profite plus aux grandes entreprises qu'aux start-up, et que ce qu'il dit sur l'entreprenariat, c'est juste pour se donner une image de mec dynamique.» Sa collègue Alison acquiesce. Plutôt que d'agir sur les licenciements, elle aurait préféré le voir «simplifier tout le côté administratif» de la création d'entreprise.