André Colombo, fondateur du groupe Vitruve (assemblage de PME dans le bâtiment et l’énergie, 25 millions d’euros de chiffre d’affaires) regrette amèrement son compagnonnage avec Bouygues. L’histoire se passe sur le plateau de Saclay (Ile-de-France), où EDF a fait construire son nouveau pôle de recherche et de développement, livré fin 2015. En phase finale, comme de coutume, le donneur d’ordres passe en revue les prestations de ses fournisseurs avant de les régler. Pour Vitruve, chargée de la partie climatisation, c’est un marché de 5 millions d’euros. Il n’en aurait perçu que 3,8 et sera contraint de déposer le bilan fin mai 2016, car cette PME a dû elle-même régler rubis sur l’ongle ses propres sous-traitants.
Il est rare qu'une PME du secteur ose contester publiquement l'imperium d'un géant du BTP comme Bouygues. Mais André Colombo en a trop soupé, détaillant les méthodes pour ne pas payer ce qui lui serait dû. Les retards, «du grand classique». Puis les pinaillages : «Dix personnes en face qui cherchent la moindre faille pour vous pousser à la faute.» Et enfin le harcèlement : «Quand ils vous envoient une vingtaine de recommandés, on ne peut plus suivre.» Au titre de refus de payer pour motif qu'il estime «unilatéral et fantaisiste». Colombo cite un exemple : «On nous dit que les radiateurs ne marchent pas. OK, la centrale électrique n'est pas branchée. Mais en fait, c'est un problème de chaudière de la responsabilité de Bouygues.»
Quand Vitruve saisit le tribunal de commerce pour diligenter une expertise, Bouygues exhibe une clause du contrat soumettant tout démêlé à un arbitre, désigné sur une liste composée par ses soins. Dans le cas présent, c'est tombé sur un homme sûrement très compétent et honnête, mais qui a déjà eu à statuer sur de précédents litiges concernant Bouygues. Contacté par Libération, le groupe rétorque que Vitruve «a été défaillant sur ce chantier et a causé un préjudice important», sans donner la moindre précision.