«A la San Fermín, tout peut arriver.» Ce slogan, typique des fêtes basques de Pampelune, en Espagne, a pris un sens tout particulier ces dernières semaines. Samedi, une Française de 22 ans a porté plainte pour viol. Et elle n'est pas la seule. Depuis le 6 juillet, coup d'envoi de cette fête qui réunit chaque année un demi-million de festivaliers, quinze personnes soupçonnées de viols ou d'agressions sexuelles ont été interpellées. Deux d'entre elles ont été relâchées sans poursuites, et une plainte a été classée.
Des milliers de personnes ont marché lundi dans les rues de Pampelune, un papier rouge à la main, portant l'inscription «Non, c'est non». Car les habitants semblent prendre conscience des débordements liés à leurs fêtes. La mairie a lancé cette année une campagne pour promouvoir «des fêtes sûres pour les femmes», et renforcé les effectifs policiers.
Comment expliquer cette prise de conscience ? «Selon moi, les fêtes de Bayonne, aujourd'hui exemplaires en terme de prévention des agressions sexuelles, ont réveillé les consciences à Pampelune», analyse Yves Raibaud, géographe, maître de conférences à l'université Bordeaux-Montaigne.
Là-bas, la mairie, poussée par les associations féministes, mène depuis dix ans une campagne de prévention contre les agressions sexuelles. Une décision notamment prise après le dépôt d'une plainte en 2005 pour viol collectif. «Chacun doit intervenir s'il est témoin d'un comportement sexiste ou de toute agression sexuelle, explique Martine Bisauta, adjointe à la mairie de Bayonne. Tous les bars et les penas - les associations festives bayonnaises - ont signé une charte où ils s'engagent à porter secours aux victimes, notamment en cas d'agression ou de comportements sexistes.
Les femmes ont aussi accès à des points de secours ou de repos répartis dans la ville. Résultat, en 2014, sur 272 plaintes déposées pendant les fêtes, deux concernaient des agressions sexuelles. De manière générale, «ces problèmes se posent dans toutes les fêtes alcoolisées où les comportements sexistes et machistes s'aggravent. Dans ces espaces publics de fête, certaines habitudes de prédation consistent à faire boire les filles pour abuser d'elles, dit Yves Raibaud. La rue reste un espace de domination masculine ».
Les exemples médiatiques récents le montrent : le festival de rock We Are Sthlm à Stockholm en Suède, a été marqué durant deux étés par des agressions sexuelles, tout comme la ville de Cologne, le 31 décembre 2015. Des agressions qui ont entraîné un déferlement de haine raciste alors qu'ils sont, comme l'écrivait Yves Raibaud dans une tribune dans Libération, le résultat d'«une éducation asymétrique des filles et des garçons, fondée sur la reproduction du modèle d'un garçon hétérosexuel, viril et dominant». «Dans toutes les grandes fêtes publiques il y a des agressions sexuelles ou des comportements sexistes. Le nier, c'est ne pas vouloir le voir », affirme Yves Raibaud. Un simple coup de fil à la mairie de Dunkerque permet de s'en rendre compte.
A la question : y a-t-il des problèmes d'agressions sexuelles lors de leur très populaire carnaval, on répond : «Oh mon dieu, pas du tout. Les gens ne viennent pas pour faire ce genre de choses.» «Ce discours est caractéristique»,explique Yves Raibaud, qui a épluché la presse dunkerquoise et constaté qu'il y a chaque année des histoires d'agressions sexuelles, comme des mains aux fesses, mais qui n'aboutissent pas forcément au dépôt de plainte - le commissariat de la ville confirme que leur nombre reste stable.
Reste que ce sujet tabou émerge peu à peu en France, et que la parole se libère graduellement chez les femmes. Selon une enquête du Figaro de 2015, le nombre de viols dénoncés aux autorités a augmenté de 18% en cinq ans.