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Libération
Analyse

Une triple transgression avec préméditation

Hors système, n’hésitant pas à contester l’autorité de son Premier ministre et «ni de droite ni de gauche», Macron emprunte une voie pavée par Sarkozy, Royal ou Valls.
publié le 13 juillet 2016 à 21h11

En politique, la transgression est une arme à double tranchant. Qui peut vous faire tout perdre, ou vous construire une identité pour de bon. Une arme d’autant plus tentante à manier que le «système» est discrédité. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron a choisi, à la fois par sincère conviction et par opportunité tactique, une triple transgression : démocratique, institutionnelle et politique. Piochant alternativement son inspiration dans plusieurs précédents (le Nicolas Sarkozy de 2006, la Ségolène Royal de 2007, le Manuel Valls de 2013 ou l’Arnaud Montebourg de 2014).

Petite boutique. La première transgression est la plus polémique. Depuis plusieurs mois, le ministre de l'Economie installe une petite musique sur le discrédit de la classe politique, «une caste», avait-il même déclaré dans une interview à Sud-Ouest. «Pour être dans la vie politique, pour peser au parti, pour être qui ministre, qui Premier ministre, qui président de la République, il faut être député. Mais, ça, c'est le cursus honorum d'un ancien temps», avait-il lancé, quelques semaines plus tôt. Mardi soir, lors de son meeting à la Mutualité, Macron a poursuivi sa critique d'un «système», qu'il considère à bout de souffle et délégitimé. Dans ce paysage, le ministre cherche à positionner sa petite boutique (En Marche revendique aujourd'hui 60 000 signatures) comme un antidote au désenchantement. «Cette histoire, elle dérange. Ah, j'en sais quelque chose… Parce qu'elle vient contrarier l'ordre, elle inquiète le système», a-t-il lancé. «Il faut faire sauter la banque. Qui mieux qu'un ancien banquier pour faire sauter la banque ?» a osé Richard Ferrand, un des rares députés socialistes qui s'est ouvertement rallié au ministre de l'Economie. Un petit peu comme le Nicolas Sarkozy de 2012, alors président sortant, qui s'était présenté comme le candidat du «hors système»… La deuxième transgression relève de la discipline institutionnelle, celle qui veut qu'un ministre s'écrase devant son Premier ministre, lequel s'efface devant le président de la République. Mais les grands ambitieux de la Ve République ont toujours aimé défier cet ordre protocolaire : comme le Sarkozy de 2006 ou le Valls de 2013, deux ministres de l'Intérieur qui ont pris un malin plaisir à asticoter l'autorité présidentielle, gage de leur ambition. Mais Arnaud Montebourg en sait quelque chose : c'est une carte délicate à jouer où le limogeage peut tomber à tout moment.

Prime à l'efficacité. La troisième transgression est la plus audacieuse. Y a-t-il une voie entre la gauche et la droite ? Le «ni droite ni gauche» de Macron peut-il trouver un débouché politique ? Tel est son pari. Il repose sur une vraie évolution de l'opinion publique qui considère que ce «clivage» devient de moins en moins pertinent. Il y a aujourd'hui à la fois, une envie d'autre chose et une prime à l'efficacité des politiques, peu importe leur étiquette. En ce sens, le message d'Emmanuel Macron est porteur d'une certaine modernité. «Les Français veulent à la fois quelqu'un qui secoue le système mais qui ne fait pas peur. Car il n'y a pas d'envie de renverser la table», confirme François Miquet Marty, le directeur de l'institut de sondage Viavoice. François Bayrou et, dans une moindre mesure, Ségolène Royal avaient tenté, en 2007, tous les deux d'emprunter ce sentier. Avec un certain succès. Mais sans victoire électorale.