Préparer des alliances, peaufiner sa stature d’homme d’Etat international et montrer que l’on est puissant en rendant visite aux puissants, tel est le jeu de tout candidat à la présidence de la République. Alain Juppé n’y coupe pas. Et dans ce jeu, le passage par la «case Merkel» est incontournable. Deux raisons à cela. D’abord, désamour ou pas, le tandem Paris-Berlin reste la clé de voûte de l’intégration européenne, encore plus depuis le Brexit. Ensuite, parce que son rival Nicolas Sarkozy a rendu visite à la chancelière pas plus tard qu’en juin dernier.
Ce lundi, dès 10 heures, Juppé rencontrera donc des chefs d’entreprises allemands réunis par le Conseil économique du parti chrétien-démocrate (CDU). Puis, après un déjeuner avec des représentants de la communauté française de Berlin, il s’entretiendra avec Angela Merkel dans un tête-à-tête d’environ 45 minutes. Enfin, après un point presse sans Merkel, sa tournée s’achèvera là où Nicolas Sarkozy avait terminé la sienne, à la Fondation Konrad Adenauer, le «think tank» de la CDU.
Ce «tour» est le programme standard proposé aux chefs de partis amis et ex-chefs d'Etats. Difficile donc d'en déduire quoi que ce soit sur les préférences de la chancelière. «Si ce n'est qu'Alain Juppé n'est actuellement ni chef de parti, ni ex-chef d'Etat», glisse un député de la CDU. En effet, si la réception de Nicolas Sarkozy, président des Républicains, par Angela Merkel, présidente de la CDU, est tout à fait «naturelle» sur le plan protocolaire, celle de Juppé l'est moins. Ou alors Merkel s'apprête à recevoir l'ensemble des candidats à la primaire des Républicains, d'Alain Juppé à Bruno Le Maire en passant par Michèle Alliot-Marie. «Cela m'étonnerait beaucoup», poursuit l'élu qui finit par admettre, du bout des lèvres, que, bien sûr, la réception de Juppé à la chancellerie fédérale, est une marque d'intérêt hors du commun. Mais est-ce pour autant le signe que Merkel accorde sa confiance à Juppé plus qu'à Sarkozy ?
Indélicatesses
«La chancelière mange ce qu'il y a sur la table», estime pour sa part un autre membre de la CDU : «Elle est pragmatique. Ce qui compte pour elle, c'est avant tout le bon fonctionnement de la relation franco-allemande. Avec Sarkozy aussi, elle a fini par avoir une relation de travail stable», rappelle-t-il. Entre le Sphinx allemand et le président «bling-bling», la relation a bien failli déraper dès le départ. Pendant sa campagne électorale de 2007, Sarkozy avait en effet promis à ses électeurs qu'il imposerait aux Allemands une Banque centrale européenne moins indépendante. A peine élu, il annonçait aussi le lancement en grande pompe d'une «Union pour la Méditerranée» financée par l'UE et pilotée par la France. Les Allemands, jamais mis au courant, tombaient alors des nues, découvrant un président français aussi battant que fanfaron, imprévisible et opportuniste.
Berlin n'a jamais adoré les indélicatesses à répétition de Sarkozy, par exemple quand Paris passa totalement sous silence le rôle important de la diplomatie allemande dans la libération des infirmières bulgares. Pourtant, au fil des ans, Sarkozy se calme et comprend qu'il ne peut agir sans Berlin. La lutte contre la crise financière achève de rapprocher les deux dirigeants qui travaillent alors activement ensemble en amont des sommets européens. Pour les Français comme les Allemands, Merkel et Sarkozy deviennent alors «Merkozy».
«Supputations»
Pourtant, l'acclimatation n'ira jamais jusqu'au bout. Le discours «identitaire» et populiste que Nicolas Sarkozy adopte à propos des Roms, de l'islam et plus tard des réfugiés, dérange fortement Berlin. Alors que la CDU d'Angela Merkel s'est énormément ouverte sur les questions de société et d'immigration au point que certains conservateurs critiquent la «social-démocratisation» du parti, Nicolas Sarkozy se place, lui, aux portes de l'extrême droite. Personne n'est donc étonné quand, en 2014, l'agence de presse Bloomberg évoque deux sources proches de la chancelière qui confirment la préférence d'Angela Merkel pour un candidat plus modéré : Alain Juppé.
«Ces supputations ne servent à rien. De telles différences entre partis frères sont habituelles au niveau européen, comme on le voit par exemple au sein du Parti populaire européen où il existe parfois de grandes différences entre les partis conservateurs nationaux. Ce qui n'empêche pas de travailler ensemble», objecte Andreas Jung (CDU), président du groupe parlementaire d'amitié franco-allemande au Bundestag. «Pour dire vrai, ce qui compte à Berlin, c'est que la France trouve un Président qui réussisse à réformer son pays et qui soit un vrai partenaire pour Berlin. Car les difficultés économiques de votre pays pèsent lourdement sur le cours de l'Europe et affaiblissent la voix de la France», estime notre discret député conservateur.