Il y avait le monde entier parmi les 84 personnes fauchées par le camion tueur, dont 71 étaient formellement identifiées lundi. Toutes les origines, toutes les nationalités, tous les patronymes, toutes les religions, tous les âges, tous les métiers, toutes les classes sociales, toutes les façons de faire famille, toutes les amours, recomposées ou non. Il y avait toute la diversité du monde parmi les badauds heureux de regarder là-haut flamber le feu d’artifice, dans la gratuité sans importance d’un été partagé.
Toutes les religions. A Nice se superposent les croyances héritées des migrations successives (Italiens de toujours, Russes blancs du début du XXe siècle ou Maghrébins des années 70) qui se frottent à l'hédonisme de la Côte d'Azur et se mélangent aux particularités des touristes de passage.
Fatima Charrihi, 62 ans, était femme de ménage. Marocaine, elle est arrivée à Nice à 20 ans. Son mari est maçon. Ils ont huit enfants et sept petits-enfants. Son fils la décrit «portant le voile et pratiquant un islam du juste milieu, un vrai islam, pas celui des terroristes». Il ajoute : «C'était une maman extraordinaire.» Elle est la première personne fauchée par le camion blanc.
Igor Chelechko, 47 ans, était un ancien militaire soviétique. Il vivait à Nice depuis quelques mois avec ses quatre enfants. Et c'est un archiprêtre orthodoxe qui le salue comme «un homme pieux, très positif».
Tous les âges. Nice est une métropole de trop d’ampleur pour être réduite à une cité de retraités. Et puis, un feu d’artifice attire enfants fascinés et accompagnateurs chevronnés tout aussi béats, sans compter les ados rieuses qui, après le finale, comptent bien échapper aux tutelles adultes.
Yanis Coviaux, 4 ans, était ravi d'assister au spectacle. Son père raconte au Parisien : «Il sautait partout, il faisait le fou avec ses copains.» Il le décrit en «filou qui savait mener son monde», en «canaille toujours souriante», du genre à arroser la compagnie avec un fusil à eau. Le père voit le camion arriver. Il saisit le bras de sa femme pour l'éloigner et se couche par terre. L'enfant est allongé à quelques mètres. Son père poursuit : «Quand je l'ai vu, j'ai tout de suite compris. Il ressemblait à Aylan, le petit réfugié retrouvé sur une plage en Turquie.» Il se précipite à l'hôpital, le corps dans les bras. Il sait déjà qu'il est trop tard.
Medhi H., 12 ans, était le fils d’un arbitre de football niçois. Il est mort. Sa sœur jumelle est dans le coma.
Amie V., 12 ans aussi, était la fille d'un journaliste de Ressources, magazine azuréen du développement durable. Zahia Rahmouni, 70 ans, était une retraitée algérienne, originaire de Constantine. Elle était en visite chez sa fille. Celle-ci a eu la vie sauve pour s'être éloignée quelques minutes à la poursuite de son fils qui refusait de se tenir tranquille.
Toutes les générations. Un feu d’artifice est un moment qui a ses afficionados, toutes générations confondues. Il existe aussi des rétifs à ces pétarades colorées à l’esthétique rustaude, foraine, belliqueuse. Il y a ceux qui n’en ratent pas une, ceux qui n’y vont jamais, ceux qui se retrouvent là par hasard et ceux à qui on a un peu forcé la main. Après l’attentat, il y a des lignées décimées, des fratries frappées à l’aveugle et puis des rescapés qui ne savent à quel hasard ils doivent d’être encore vivants, si ce n’est à leur refus buté de se faire casser les oreilles. Il y a ceux qui sont morts ensemble et ceux qui restent là, démunis, interdits devant une chance qui est aussi un malheur.
François Locatelli, 82 ans, artisan chauffagiste en retraite et sa femme Christiane, 78 ans, étaient originaires de la région de Longwy (Meurthe-et-Moselle). Avec eux disparaissent leur fille Véronique Lion, 55 ans, assistante maternelle, et leur petit-fils Michaël Pellegrini, 28 ans, professeur de sciences économiques et sociales. Les beaux-parents de Véronique sont morts aussi. Seul son mari, Christophe Lion, a survécu.
Olfa Ben Souayah Khalfallah, tunisienne, avait 31 ans et elle est morte sur la promenade des Anglais. Son mari a couru les hôpitaux pendant trente-six heures. Sans réussir à retrouver vivant leur fils Kylian, 4 ans, bambin rayonnant qui, sur les photos, posait épaule contre épaule avec un ours en peluche plus gros que lui et bien moins éveillé.
Les sœurs Chrzanowska sont polonaises. Elles étaient quatre et découvraient la Riviera. Magdalena, 21 ans, et Marzena, 20 ans, ont disparu.
Tous les métiers. La cible s’élargit. En janvier, les terroristes s’en sont pris aux dessinateurs et aux juifs. En novembre, ils ont flingué la jeunesse jouisseuse, celle des créatifs et des start-upeurs. A Nice, c’est tous ceux qui aiment voir le ciel s’étoiler de pyrotechnie qui sont visés, tous corps de métier confondus, en un agrégat de riches et de pauvres, de chômeurs et de rentiers, de clients de palace et de résidents en foyer.
David Bonnet, 44 ans, originaire du Cher, était pisciculteur. Linda Casanova Siccardi, 54 ans, suisse, était inspectrice des douanes. Roman Ekmaliyan, 56 ans, Géorgien d’origine arménienne, était un homme d’affaires. Natalia Otto, 57 ans, kazakhe, était philologue de formation et enseignante à Anvers. Emmanuel Grout, 48 ans, était le numéro 2 de la police aux frontières à l’aéroport Nice-Côte d’Azur.
Toutes les amours. La terreur est indifférenciée et renverse les bien mariés comme les couples de hasard, les esseulés comme ceux qui se sont retrouvés sur le tard, les alertes toujours en chasse et les fatigués de tout ça. Christine Fabry, 67 ans, retraitée, et son compagnon, Hugues Mismaque, 49 ans, employé chez Thales, ont été tués. Présente sur les lieux, la fille de Christine est sans nouvelles de son frère et de l’un de ses fils, le second étant hospitalisé.
Timothé Fournier, 27 ans, était un buraliste parisien. Une cousine le présente comme «un jeune homme rêveur». Il est mort en protégeant sa femme, enceinte de sept mois.
Mino Razafitrimo, 31 ans, d’origine malgache, était assistante en communication. Elle laisse deux enfants de 4 et 6 ans. Lors de son mariage, elle avait posé en robe blanche sur la promenade des Anglais.