C'est terriblement douloureux et ce sera long. Depuis le carnage perpétré jeudi soir par Mohamed Lahouaiej Bouhlel sur la promenade des Anglais, psychologues et psychiatres se relaient pour assister familles de victimes, blessés et secours intervenus dans la nuit. «Environ 800 personnes sont passées par les cellules d'urgence médico-psychologique [CUMP]», indique Flavie Derynck, référente de ces structures.
Cette psychiatre de Marseille faisait partie des renforts arrivés dès vendredi matin, vu l'ampleur de la tragédie. D'autres sont venus d'Avignon, de Toulon, Digne, Montpellier et, au-delà, de Lyon, Lille et Nantes. Soixante personnes (psychiatres, psychologues, infirmiers…) sont maintenues sur le terrain. «Le nombre de morts a beaucoup choqué, mais ce qui ressort, c'est l'horreur de l'acte et les images innommables. Or il est important de tenter de mettre des mots dessus», raconte Anne-Laurence Halford, psychologue pour l'association Entr'autres, qui travaille aussi sur des projets de déradicalisation.
Alain Percivalle, psychologue aux urgences de l'hôpital Pasteur, à Nice, a été mobilisé dès jeudi soir. Il est intervenu sur la promenade des Anglais, au milieu des corps. «Il y avait des maris auprès de leur femme, des parents à côté de leurs enfants, des familles avec parfois plusieurs morts sur dix mètres de long, se souvient-il. L'idée, à ce moment-là, c'est de parler de la personne décédée, les écouter raconter leurs souvenirs, ce qu'ils avaient fait ensemble pendant la journée. Il ne faut pas s'enfermer dans le silence.» Le psychologue, qui avait travaillé l'an passé sur le crash de l'avion de la Germanwings, dans les Alpes, s'est aussi attaché à faire le lien entre les différents services publics mobilisés afin que les personnes à la recherche de proches puissent disposer d'informations fiables. «Certaines familles sont toujours dans l'expectative, c'est très éprouvant.»
«Décompensation»
Le lendemain de l'attentat, l'accueil s'organise notamment à la cellule d'urgence médico-psychologique de l'hôpital Pasteur, l'un des six postes en place. Là, les proches des victimes peuvent se confier à des professionnels. «C'est ce qu'on appelle la phase de débriefing, de narration des événements», détaille Alain Percivalle. Qui doit parfois faire face à des patients en phase de «décompensation» : «Il s'agit de gens qui ont souvent vécu un traumatisme antérieur, et que l'attaque du 14 Juillet a réactivé. Je pense à cette femme qui se trouvait au Bataclan en novembre et à Nice il y a quelques jours. On l'a trouvée en train de hurler dans les toilettes d'un bar qu'elle ne voulait plus vivre ça.»
A Nice, les lieux d'accueil ne manquent pas. La Croix-Rouge s'occupe d'un espace de recueillement à l'Acropolis, le palais des congrès. «C'est un lieu symbolique, à l'abri de toute pollution extérieure, où les proches peuvent commencer leur deuil, par exemple en allumant des bougies»,dit Philippe Deyres, conseiller technique national de l'association. De nombreux bénévoles, ainsi que des psychologues, sont disponibles en cas de besoin. Un dispositif aussi mis en place par l'Association française des victimes du terrorisme, via son antenne niçoise. Lundi, une dizaine de personnes se sont rendues sur place. Pas des familles de disparus ni des blessés, mais des badauds présents sur la promenade jeudi soir, traumatisés par l'expérience. Yassine Bourouais, psychologue, a reçu une jeune qui a croisé le camion du tueur : «Mon travail, c'est de canaliser les émotions. Face à un état de choc, j'essaie d'intervenirpour éviter un syndrome de stress post-traumatique.»
«Déni»
Les psychologues racontent l'importance du retour d'expérience des précédents attentats : «Après le 13 Novembre, on a dû revoir les procédures, ce qui nous permet d'être plus armés aujourd'hui. "Grâce à" l'expérience retirée, les équipes étaient peut-être plus opérationnelles, calmes, sereines face à cette terrible tragédie», indique Flavie Derynck.
La présence d'enfants - dix parmi les victimes - a choqué, y compris les forces de secours, pourtant rompues à intervenir sur des situations difficiles. Aux plus jeunes survivants, les équipes ont parfois dû annoncer la perte d'un parent. Brigitte Juy, psychanalyste et codirectrice de l'association Entr'autres, raconte : «Les enfants viennent accompagnés par des adultes de la famille. On explique, on s'assure qu'ils aient bien compris. Les réactions sont diverses. Certains sont agités, d'autres sont dans le déni. On les reverra.»