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Libération

Une attaque «terroriste» minutieusement préparée

Les derniers éléments de l’enquête communiqués lundi par le procureur François Molins montrent que si le tueur ne semble pas avoir été en lien direct avec l’EI, il s’est documenté sur les exactions de l’organisation jihadiste.
Le procureur de la République de Paris, François Molins, lors de son point presse de lundi. (Photo François Guillot. AFP)
publié le 18 juillet 2016 à 21h01

Plus l’enquête progresse, et plus la détermination de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le tueur de la promenade des Anglais, apparaît limpide. Lundi, le procureur de la République de Paris, François Molins, a livré lors une conférence de presse détaillée des éléments montrant à quel point le Tunisien de 31 ans avait imaginé sa course meurtrière (84 morts et 256 blessés) avec minutie.

A ce stade des investigations, aucun lien n'est formellement établi entre Lahouaiej Bouhlel et l'Etat islamique (EI) - qui a pourtant revendiqué l'attentat via son agence d'information, Aamaq. Non seulement le tueur n'a pas signé son acte au nom de Daech, mais en plus il ne semble pas avoir été en contact avec un membre d'un réseau jihadiste. C'est ce que révèle, en tout cas pour le moment, l'exploitation du téléphone et de l'ordinateur du tueur. En revanche, l'acte consistant à écraser des piétons n'en demeure pas moins inspiré de l'imagerie et de l'abondante propagande divulguées ces derniers mois par l'organisation (lire aussi page 5). Ainsi, François Molins n'hésite pas à qualifier les faits de «terroristes», insistant sur «l'intérêt certain» mais «récent» de Lahouaiej Bouhlel pour «la mouvance islamiste radicale».

Religiosité supposée

Cette caractérisation s’appuie en premier lieu sur les déclarations des proches du Tunisien, dont trois demeuraient toujours interrogés lundi soir par les services spécialisés. Trois autres personnes ont été interpellées dimanche, dont un Albanais de 38 ans, connu pour des faits de traite humaine, suspecté d’avoir fourni à Lahouaiej Bouhlel le pistolet de calibre 7,65 mm avec lequel il a ouvert le feu sur les policiers. A 22 h 27, le soir de l’attaque, le tueur a en outre envoyé un SMS pour acquérir de nouvelles armes.

Dans un premier temps, l'un des gardés à vue a révélé que le meurtrier s'était laissé «pousser la barbe il y a huit jours», au nom d'une supposée religiosité nouvelle. Un autre témoin a également expliqué aux enquêteurs que Mohamed Lahouaiej Bouhlel lui avait récemment tenu le propos suivant : «Je ne comprends pas pourquoi Daech ne pourrait prétendre à un territoire.» En sus, les analyses du téléphone et de l'ordinateur du Tunisien, «fasciné par l'ultraviolence et à la vie sexuelle débridée», dixit François Molins, ont mis au jour de multiples consultations morbides. Ainsi, entre le 1er et le 13 juillet, ce dernier a effectué des «recherches quasi quotidiennes de sourates du Coran», mais s'est aussi documenté sur les fusillades d'Orlando et de Dallas, ainsi que sur l'assassinat terroriste d'un couple de policiers perpétré mi-juin à Magnanville (Yvelines). Enfin, des photos d'Oussama ben Laden, du leader d'Al-Mourabitoune, Mokhtar Belmokhtar, et des unes de Charlie Hebdo ont été exhumées du disque dur. Un troisième gardé à vue a quant à lui ouvert la piste d'une radicalisation plus ancienne de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, assurant que ce dernier lui avait montré «il y a environ sept à huit mois» une vidéo de décapitation d'otage, rétorquant, face à son étonnement : «Je suis habitué.»

Selfies

Si le doute demeure sur l’existence d’un déclic ayant conduit au passage à l’acte, l’extrême préméditation de l’attentat, elle, ne se dément plus. Le 4 juillet, Lahouaiej Bouhlel a d’abord pris contact avec une société de location de Saint-Laurent-du-Var afin de réserver le camion de 19-tonnes pour la semaine du 11 juillet. Lequel véhicule devait normalement être retourné le 13 juillet.

L'exploitation de la vidéosurveillance de la ville de Nice a également permis de découvrir que le meurtrier s'était rendu les 12 et 13 juillet sur la promenade des Anglais au volant du camion afin d'y effectuer divers repérages. Le 12, il effectue même un selfie au volant du poids lourd. Une activité qu'il poursuivra tout au long de la journée du 14 juillet : premier autoportrait à 13 h 43 devant la plage, un autre à 16 h 02 devant «un camion remorquant un char d'assaut», un troisième à 16 h 42 et un dernier à 19 h 25.

Concernant le mode opératoire, il semble, là encore, mûrement réfléchi. Le procureur de Paris, François Molins, a notamment souligné qu'une photographie trouvée dans le téléphone portable du tueur correspondait à un article du journal Nice-Matin (daté du 1 janvier 2016), dont le titre est pour le moins évocateur : «Il fonce volontairement sur la terrasse d'un restaurant.»

La barre de recherche de son ordinateur regorge, elle, de mentions à des vidéos sur de «terribles» ou «horribles» accidents de la circulation. Le 21 septembre 2014, le porte-parole de l'Etat islamique, Abou Mohamed al-Adnani, avait déjà exhorté les «soldats du califat» à utiliser ce mode d'action dans un message audio : «Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen - en particulier les méchants et sales Français - […], alors comptez sur Allah et tuez-le de n'importe quelle manière. […] Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec sa voiture, jetez-le d'un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le.»

Le 28 juin, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a tenté de contracter un prêt à la consommation de 5 000 euros. Mais il lui a été refusé faute de «capacité de recouvrement», selon François Molins. Le 14 juillet, le tueur a finalement retiré 550 euros à un distributeur automatique de billets afin, semble-t-il, de financer son action meurtrière jusqu'au bout.