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Analyse

Un état d’urgence de plus en plus pérenne

Le gouvernement défend devant le Parlement une prolongation de six mois. La droite, aiguillonnée par le Front national, en profite pour pousser ses mesures.

A Paris, le 26 novembre 2015. (Photo Denis Allard pour Libération)
Publié le 19/07/2016 à 20h21

De l’art de déguiser en concession à l’opposition l’une de vos propres décisions. Et de donner un tout petit tour de vis sécuritaire au nom d’une union nationale bien mal en point. Le gouvernement a présenté mardi un projet de loi prorogeant l’état d’urgence pour trois mois à partir du 26 juillet. Mais cette durée devait être portée à six mois lors du débat prévu dans la nuit à l’Assemblée. Officiellement, François Hollande valide l’une des dix mesures réclamées lundi par le parti les Républicains (LR) après l’attentat de Nice.

D'un point de vue politique, tout le monde y gagne : l'opposition peut s'enorgueillir d'avoir durci la position du gouvernement et la majorité s'épargne un procès en laxisme. En réalité, l'exécutif envisageait cette durée dès vendredi. En allant jusqu'au 26 janvier, «cela nous permet de ne pas surcharger le débat budgétaire au Parlement cet automne et de couvrir les dates anniversaires des attentats de novembre, de janvier et les fêtes de fin d'année», souligne un proche de Manuel Valls. «Mais pas la primaire de la gauche», prévue fin janvier, a maugréé le patron du PS Jean-Christophe Cambadélis. Co-auteur du récent rapport d'enquête parlementaire sur les attentats de novembre, le député socialiste Sébastien Pietrasanta dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas : fin janvier, «on basculera dans la campagne présidentielle et je ne vois personne oser lever l'état d'urgence à ce moment-là».

Bretelles. Sur le fond, c'est le retour à l'état d'urgence version novembre 2015, avec perquisitions administratives. Face à la surenchère sécuritaire de la droite, le gouvernement s'en tient à son mantra «agir dans le strict respect de l'état de droit», d'où une palanquée de garanties juridiques dans le nouveau texte, notamment sur les saisies de matériel et de données informatiques. En février, le Conseil constitutionnel les avait retoquées au motif d'un manque d'«équilibre» entre le maintien de l'ordre public et le respect de la vie privée. Cette fois, c'est ceinture et bretelles : les opérations de saisie et de copie se feront en présence d'un officier de police judiciaire, sous la responsabilité d'un agent chargé de rédiger un procès-verbal. Et toute utilisation des données devra être autorisée par le juge des référés du tribunal administratif.

Une «exception absolue en justice administrative et la preuve que l'exécutif veut vraiment blinder juridiquement cette mesure», analyse Laurence Blisson, du Syndicat de la magistrature. Elle note cependant un «flou problématique» sur la manière dont on peut «découvrir des éléments informatiques relatifs à une menace terroriste sans les rechercher de manière aléatoire». En clair : comment trouver ces informations si elles sont rangées dans un dossier intitulé «photos de vacances» ? Dernière innovation, la possibilité de perquisitionner plusieurs lieux liés à un suspect, comme son garage, sans autorisation écrite du procureur.

Banco. Même si certains députés LR ont continué leur maximalisme en commission des lois mardi, la droite reconnaît qu'il devient «impossible de ne pas voter cet état d'urgence», selon le patron des députés LR, Christian Jacob. «Ils sont en train de réaliser que leur fuite en avant sécuritaire depuis cinq jours ne bénéficie qu'à l'extrême droite et que bloquer l'état d'urgence les décrédibiliserait aux yeux des Français», estime un pilier de l'Assemblée. Pas question pour autant de dire banco tout de suite. Comme pour la déchéance de nationalité, l'opposition entend faire durer les débats et durcir le texte au Sénat, le temps de faire la pub de ses autres marottes comme le placement en centre fermé de tout national ayant des connexions «directes ou indirectes» avec un groupe terroriste. Une idée «au-delà de la ligne rouge, c'est-à-dire la fin de l'état de droit», cingle le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen. «Nous cherchons à rendre l'état d'urgence intelligent et utile, se justifie le député LR Hervé Mariton. Maintenant, ce n'est pas blanc ou noir : si le gouvernement veut jouer aux ânes et proposer un état d'urgence sans contenu, il passera sans opposition farouche de notre part.»

Les deux députés du Front national, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, ont aussi conditionné leur soutien au contenu du texte. Ils ont présenté un train de propositions visant notamment à suspendre l'espace Schengen, interdire l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), supprimer le droit du sol ou encore rétablir la «double peine». Entonnant l'air du «on vous l'avait bien dit», le FN espère recueillir dans les urnes les fruits de l'actualité. Et englobe droite et gauche dans la critique d'un unique «système», jugé incapable de protéger les Français.