La fin du quinquennat approchant, les départs des cabinets sont de plus en plus nombreux. Une partie de ces départs se font vers le privé. Depuis le début du quinquennat, on compte huit départs d’un membre du cabinet de la présidence de la République vers une entreprise privée.
Partir vers le privé n'est pas le plus fréquent après la sortie de l'Elysée, et concerne un départ sur 10. Le dernier en date, selon l'Express, c'est celui de Julien Pouget, le conseiller économie de François Hollande à l'Elysée. Il devrait rejoindre Total, où un poste important lui aurait été proposé. Selon un relevé des 70 départs constatés, effectué par Libération, ce départ vers le privé vient en effet après celui de :
• Hervé Naerhuysen, ancien conseiller en politiques fiscales, vers la direction de ProBTP, groupe de protection sociale complémentaire ;
• David Kessler, ancien conseiller culture et communication, vers la direction d'Orange Studio ;
• Olivier Lluansi, conseiller industrie et énergie, qui est devenu conseiller du président de RTE et travaille maintenant chez EY, cabinet d'audit ;
• Axel Cavaleri, ancien chef adjoint du cabinet après avoir été directeur de cabinet de Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée aux Personnes handicapées et à la Lutte contre l'exclusion, vers la direction générale des Ateliers de l'accessibilité, une société de conseil sur les questions de handicap ;
• Xavier Piechaczyk, ancien conseiller transports et environnement, qui a rejoint le directoire de RTE, où il s'occupe des «Réseaux clients territoires» ;
• Laurence Boone, ancienne conseillère économie et finances, qui est devenue cheffe économiste pour la compagnie d'assurances Axa ;
• Jean-Jacques Barbéris, ancien conseiller affaires économiques, a rejoint Amundi, une filiale du groupe Crédit agricole, pour gérer les relations avec les banques centrales et les fonds souverains.
Pour chacun de ces transferts, il n'y a pas eu, semble-t-il, d'opposition de la commission de déontologie de la fonction publique. Les avis donnés par la commission aux membres de cabinets sont assortis d'une réserve «habituelle», explique celle-ci dans son rapport annuel, à savoir que les partants s'abstiennent «de toute relation professionnelle avec les membres du cabinet du Premier ministre qui étaient en fonction» en même temps qu'eux pendant trois ans.
Depuis 2009 et la loi relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, venue à la suite de l'affaire Pérol, qui avait vu un conseiller de Nicolas Sarkozy prendre la tête de la Banque populaire-Caisse d'épargne, après avoir suivi le dossier de leur fusion, «la saisine de la commission [de déontologie] pour les membres des cabinets ministériels ainsi que pour les collaborateurs du Président de la République» est «obligatoire». Rien ne permet cependant de connaître les saisines et les avis de la commission, puisqu'ils ne sont pas rendus publics.
Lire sur l'affaire PérolPantouflage : la déontologie prend pied
Dans son dernier rapport annuel, la commission a indiqué avoir rendu 1 061 avis en 2015 concernant la fonction publique d'Etat. La commission ne détaille pas les avis qu'elle a donné sur les changements de poste de membre de cabinets. On peut noter cependant que dans la fonction publique d'Etat, elle a donné un avis de compatibilité ou de compatibilité avec réserves dans 80% des cas. Dans 15% des cas, elle s'est déclarée incompétente. Ce qui laisse une vingtaine de cas, tous types d'agents de la fonction publique, où elle a vu une incompatibilité.
Eric Alt, magistrat et vice-président d'Anticor, association qui lutte contre la corruption, a constaté que la commission a tendance «à examiner de façon plus favorable» la situation d'un haut-fonctionnaire. En effet, pour des fonctionnaires avec un poste et un périmètre bien délimité, il est plus simple pour la commission de juger si le nouveau poste entre, ou non, en contradiction avec ce périmètre. «Lorsque le périmètre est vaste et moins précisément déterminé, la tâche de la commission est plus difficile et souvent, elle valide», explique-t-il.
Parmi les membres des cabinets, il semble que seule la demande d'Alexandre de Juniac – alors directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des Finances, et qui souhaitait prendre la tête d'Areva – ait été refusée. C'est du moins la seule publique. Par ailleurs, la commission poursuit en indiquant que «peu d'administrations, qu'il s'agisse de l'Etat ou des autres collectivités publiques, se sont acquittées de l'obligation, qui leur incombe en vertu de l'article 14 du décret du 26 avril 2007, d'informer la commission de la suite donnée à l'avis de la commission».
En 2011, elle s'était d'ailleurs déclarée incompétente pour juger le transfert de la directrice générale de la Commission de régulation de l'énergie vers RTE. En effet, «RTE n'est pas dans le secteur concurrentiel», puisque dépendant d'EDF, une entreprise publique, expliquait à l'Opinion un conseiller élyséen. Christine Lebihan-Graf avait fini par abandonner. Depuis, François Brottes, ancien député PS, et deux conseillers de François Hollande sont allés travailler chez RTE.
Si le dispositif «s'est amélioré», selon Eric Alt, des questions se posent encore, d'autant plus qu'il y a de plus en plus de passages vers le privé. «Il faudrait s'en emparer, constate le magistrat. L'exemple récent de Barroso l'a montré. Il y a de plus en plus de porosité entre l'intérêt général et les entreprises privées. Est-il sain que les passages en cabinets soient un tremplin vers des activités rémunératrices dans le privé ?»
Les avis de la commission ne semblent pas entraver les départs des cabinets qui se multiplient. Certains nouveaux postes font cependant polémique. Récemment, c’est la nomination de Philippe Mauguin, directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, à la tête de l’Institut national de la recherche agronomique, qui est mal passée.