Il n'aura fallu que quelques heures après la prise d'otages dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray pour que l'organisation Etat islamique (EI) revendique l'attentat, à travers son agence de presse Amaq : «L'attaque dans l'église de Normandie en France a été effectuée par des soldats de l'Etat islamique en réponse aux appels de cibler les pays croisés de la coalition.» Alors que le parquet antiterroriste de Paris a été saisi, l'enquête commence pour tenter de déterminer le profil des assaillants dont l'allégeance à la mouvance islamiste radicale ne fait guère de doute. Le procureur de Paris, François Molins, a précisé que «l'un des terroristes avait une fausse ceinture explosive et trois couteaux. L'autre avait un minuteur de cuisine et, dans son sac à dos, de faux explosifs». En outre, les deux terroristes auraient crié «Allah akbar» à la sortie de l'édifice.
Départ pour la Syrie
Les opérations de déminage ont ralenti l’identification formelle des deux assaillants abattus sur le parvis de l’église après un face-à-face avec la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Rouen. Des policiers de la BAC, présents sur place, ont néanmoins rapidement reconnu un visage familier : celui d’Adel Kermiche, un homme de 19 ans, qui, un an et demi plus tôt, faisait déjà l’objet d’une mesure de contrôle judiciaire et venait pointer toutes les semaines au commissariat. Ce dernier est en effet connu des services judiciaires pour avoir tenté, par deux fois, de rejoindre les rangs de l’Etat islamique en Syrie. Son premier périple, entrepris en mars 2015 s’est soldé par une arrestation à Munich, en Allemagne. Retour à la maison et mise en examen. Encore mineur, la justice l’astreint à un contrôle judiciaire et l’oblige à pointer au commissariat et à suivre une activité professionnelle. Apparemment, cet échec n’entame pas les velléités de départ d’Adel Kermiche : un mois et demi plus tard, le 11 mai 2015, devenu majeur, il repart pour la Syrie, mais change d’itinéraire. Il transite cette fois par Genève, avant d’embarquer, avec les papiers de son cousin, pour la Turquie. Une fois encore, son voyage sera de courte durée : il est intercepté le 13 à l’aéroport d’Istanbul, puis renvoyé à Genève.
Selon certaines sources, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) lui attribue alors une fiche S - pour sûreté de l'Etat. Sous le coup également d'un mandat d'arrêt international, il restera incarcéré à la prison suisse de Champ-Dollon avant d'être extradé vers la France. Le 22 mai 2015, il est mis en examen pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme».
Permission de sortie
Lorsque sa mère l'interroge sur les raisons de ces départs soudains, Kermiche lui répond, sibyllin, «la France, ça me saoule». Après un nouveau séjour derrière les barreaux, il bénéficie, le 18 mars 2016, d'une libération conditionnelle assortie d'un placement sous bracelet électronique. Comme il est d'usage puisque la justice à la main, la fiche S est alors «mise en sommeil». Le parquet antiterroriste, lui, fait appel de l'ordonnance de libération, sans obtenir gain de cause. Adel Kermiche a donc profité de sa permission de sortie quotidienne, entre 8 h 30 et 12 h 30, pour commettre l'attentat. Il portait encore son bracelet au moment de sa mort sur le parvis de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Selon des informations de la Tribune de Genève, qui avait, à l'époque, suivi cette affaire, il semble que Kermiche a subitement changé de comportement après l'attentat de Charlie Hebdo de janvier 2015. Sa mère, qui le décrivait dans le journal suisse comme «un gamin joyeux qui aime la musique et sortir avec des copines», notait qu'il s'était renfermé soudainement et mis à fréquenter une mosquée. Il se serait ainsi «métamorphosé» en trois mois sous les yeux de ses proches, impuissants. «Heureusement, on a réussi à le rattraper à temps par deux fois, observait sa mère dans les colonnes de la Tribune de Genève. S'il avait pu passer en Syrie, je pouvais faire une croix sur mon fils. J'aimerais bien savoir qui a chamboulé notre gamin.»
Mardi soir, la police scientifique œuvrait encore à l’identification du deuxième assaillant. Des relevés d’empreintes digitales étaient à l’étude. En fin de journée, deux perquisitions étaient également en cours, selon l’AFP, et un mineur, semble-t-il proche de l’un des deux assaillants, était en garde à vue. La ville de Saint-Etienne de Rouvray apparaît déjà dans un dossier antiterroriste médiatisé.
En août 2013, Maxime Hauchard, un homme de 22 ans, originaire du village du Bosc-Roger-en-Roumois, dans le département voisin de l'Eure, rejoint les rangs jihadistes en Syrie. Avant de ressurgir sur une vidéo de propagande comme l'un des bourreaux de 18 otages syriens égorgés. L'enquête avait mis au jour, fin 2014, un «foyer de dérive radicale» concernant notamment trois autres jeunes convertis à l'islam fréquentant, selon le Parisien, les mosquées de Saint-Etienne-du-Rouvray et d'Elbeuf. Malgré ces similitudes géographiques, aucun lien n'a pour l'instant été établi entre cette affaire et l'attentat perpétré dans l'église.