Une église d’une commune périphérique, un mardi des vacances, au petit matin. La cible est d’une banalité confondante. Ni un match de foot, ni un rassemblement populaire, ni un journal ou une administration. Une simple église catholique. A l’intérieur de l’édifice, un couple de fidèles, trois sœurs et un prêtre. Six personnes en tout, pour une messe ordinaire de cette ville «périurbaine», comme disent les sociologues, située tout près de Rouen.
Il est 9h25 quand deux hommes pénètrent dans le bâtiment religieux en passant par l'arrière. L'office a déjà commencé. Selon sœur Danielle, présente sur place, ils immobilisent le prêtre, Jacques Hamel, âgé de 86 ans, et lui demandent de s'agenouiller. «Quand on a vu le couteau dans la main droite, on a su que quelque chose allait se passer», a témoigné sœur Danielle sur France 2. «Ils ont pris la parole pour parler en arabe. Je ne sais pas trop ce qu'ils ont raconté, mais ils ont crié : "Vous, les chrétiens, vous nous supprimez."» Le prêtre aurait «essayé de se débattre». La religieuse parvient à s'enfuir, avant que les deux assaillants n'égorgent le père Jacques, et ne blessent grièvement un des deux fidèles, un retraité très actif dans la paroisse. Les terroristes auraient filmé la scène. «Je suis partie en courant et j'ai arrêté la première voiture. Le conducteur a appelé la police, et ça a été très vite.»
Déminage
A leur sortie de l'église, les preneurs d'otages se retrouvent face à face avec des hommes de la brigade de recherche et d'intervention (BRI) de Rouen. Selon une source proche du dossier citée par l'AFP, ils auraient crié «Allah Akbar», avant d'être abattus. L'un des deux, Adel Kermiche, a été formellement identifié. Sous contrôle judiciaire, il a tenté de rallier la Syrie en 2015, et porte encore son bracelet électronique. Les deux hommes sont munis d'armes blanches, dont un couteau ayant servi à tuer le prêtre, un vieux pistolet «inopérant» et de faux dispositifs explosifs. Une équipe de démineurs est envoyée sur place. L'opération durera environ cinq heures, sans qu'aucun explosif ne soit trouvé.
La victime, le père Jacques Hamel, célébrait ce mardi la messe matinale à la place du père Auguste Moanda Phuati, qu'il secondait à la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray. Selon le diocèse de Rouen, l'abbé était originaire de Darnétal, une commune de Seine-Maritime à une poignée de kilomètres seulement, où il était né en 1930. Ordonné en 1958, il avait fêté ses cinquante années de service au sein de l'Eglise en 2008. Il avait rejoint la paroisse de Saint-Etienne comme prêtre auxiliaire il y a seize ans, et habitait le presbytère. Jusqu'à l'année dernière, le prêtre continuait même à assurer le catéchisme. C'était un homme «très vif, très zélé», a salué Philippe Maheut, le vicaire général de Rouen, qui le côtoyait. «Il prenait le temps d'écouter les gens, de les accompagner», se souvient Alexandre Joly, curé de l'église voisine de Saint-Paul-de-Quevilly - Couronne, qui évoque un «homme de foi», «délicat» et bien connu des paroissiens.
«Symbole fort»
Auguste Moanda Phuati, prêtre titulaire depuis cinq ans à Saint-Etienne-du-Rouvray, a appris la nouvelle à la télévision, alors qu'il rentrait tout juste de vacances au Congo, dont il est originaire. Il décrit la victime comme quelqu'un de «chaleureux, simple, vivant modestement» et «très apprécié de la population». «Je ne pouvais pas imaginer qu'une telle chose pourrait nous arriver», se désole-t-il. «C'est un symbole très fort, de s'en prendre à un prêtre pendant une messe», ajoute le père Alexandre Joly, surtout dans cette paroisse «très cosmopolite», fréquentée notamment par des fidèles portugais.
Selon plusieurs responsables catholiques locaux, l'église «n'avait jamais reçu de menaces». «Daech nous a déclaré la guerre et nous devons mener cette guerre jusqu'au bout, dans le respect du droit», annonce François Hollande à la sortie de la mairie de Saint-Etienne-du-Rouvray, alors qu'au même moment le groupe terroriste revendique l'attaque. Le Président a le visage marqué. Il est né à quelques kilomètres d'ici, à Rouen, et a grandi à Bois-Guillaume, commune aisée du nord de l'agglomération. Il sait que cette image du chef de l'Etat, grave, quelques heures après une attaque terroriste, est devenue un classique de son quinquennat. «C'est une épreuve pour la France, une de plus», dit-il. Sur la place de l'hôtel de ville, Yann est l'un des premiers à arriver, à vélo, une fois le cordon de sécurité levé après le départ du Président. Il a 37 ans, «dont trente-cinq passés à Saint-Etienne-du-Rouvray». Ses enfants ont été baptisés par le père Jacques Hamel. «Il était proche de nous, il buvait le coup au café, je n'en reviens pas : je n'arrête pas de me répéter :"Ils ont égorgé notre prêtre !"» Pas besoin de beaucoup pousser Yann pour que l'énervement monte. «L'un des gars avait un bracelet : vous réalisez ? Pourquoi ces types-là se retrouvent dehors ? On ne devrait prendre aucun risque. Ça va trop loin, on ne peut plus laisser des gars comme ça en liberté.»
«En haut» de Saint-Etienne-du-Rouvray, comme disent les habitants, se trouve la seconde église de la commune, Sainte-Thérèse. Linda Dupré, salariée de la paroisse et amie du père Jacques Hamel, reçoit les journalistes dans la cour. Déjà, elle pense à l'après. «Etrangement, j'ai peur de la réaction des catholiques, avoue-t-elle. François Hollande a parlé de guerre, il faut faire attention à ce que l'on dit. Dans une guerre, quand il y a une attaque, il y a une contre-attaque, c'est ce qui m'effraie. Depuis ce matin, j'entends des gens dire : "C'est la guerre civile." Que vont-ils faire ?» Son regard se tourne vers la mosquée voisine, de l'autre côté d'une petite barrière.
«Dénoncer»
Deux jeunes en sortent au même moment. Ils portent une barbe longue, et hésitent à répondre aux journalistes. Mais l'envie de dire leur «dégoût» l'emporte. «Ce sont des barbares, des animaux ! Ils nous salissent, ils ont visé une église pour créer des tensions. Et le pire, c'est qu'ils vont y arriver. Demain, quand je vais aller au travail, je sais déjà que ça va être dur», assure celui qui semble le plus en colère. «Dénoncer, il faut le faire, même si c'est fatigant, explique le second. Mais ça ne suffit pas. Ça n'arrête pas les attentats. D'abord, pourquoi on laisse sortir des gens comme ça ? Leur place est en prison. Ensuite, il y a un travail idéologique, théorique, à faire dans les mosquées. L'imam, ici, n'est absolument pas un radical. C'est un Marocain, il ne parle pas français, et il n'aborde jamais la question du jihadisme.»
Les deux hommes racontent qu'à la suite des attentats, des jeunes musulmans du quartier se sont mobilisés eux-mêmes depuis des mois pour distribuer des tracts et faire de la prévention. «Ce sont ceux que vous appelez des salafistes et pourtant, selon moi, ils sont un rempart contre le jihad», dit l'un des interlocuteurs. Mais encore faudra-t-il convaincre les voisins catholiques de l'église Sainte-Thérèse. La mosquée a appelé à une minute de silence interconfessionnelle, vendredi, devant l'église où le père Jacques Hamel a été assassiné.