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Libération
TERRORISME

Prêtre assassiné : un bracelet pour rien

Après avoir abattu Adel Kermiche, l'un des deux assaillants de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, un détail retient tout de suite l’attention des policiers : il est porteur d’un bracelet électronique. Une mesure de liberté conditionnelle truffée de risques, selon les professionnels de l’antiterrorisme.
Le quartier autour de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray a été bouclé, le 26 juillet. (Photo Charly Triballeau. AFP)
publié le 27 juillet 2016 à 18h26

Il est aux alentours de 11 heures quand les deux terroristes sortent de l’église de Saint-Etienne du Rouvray, mardi 26 juillet. A l’intérieur, le prêtre Jacques Hamel a été assassiné, et un autre fidèle est grièvement blessé. Equipés d’une arme de poing et de plusieurs couteaux, ils sont abattus sur le parvis du lieu de culte par la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Rouen. Un détail retient tout de suite l’attention des policiers: l’un des deux hommes, Adel Kermiche, est porteur d’un bracelet électronique. Une mesure de liberté conditionnelle truffée de risques, selon les professionnels de l’antiterrorisme.

En mai 2015, le terroriste avait tenté pour la seconde fois de se rendre en Syrie après un premier échec un mois et demi plus tôt. Arrêté en Turquie, renvoyé en Suisse, pays par lequel il est passé, puis finalement extradé vers la France, Adel Kermiche est mis en examen pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste». Incarcéré pendant dix mois dans l'attente de son procès, une libération conditionnelle sous surveillance électronique lui est accordée le 18 mars 2016 par un juge d'instruction.

«Un outil faillible»

Cette mesure est rare pour des faits liés au terrorisme islamiste. Elle concerne seulement 13 personnes en France, selon le ministère de la Justice. Parmi eux, sept sont en attente de leur jugement. Il s’agit dans ce cas d’une assignation à résidence sous surveillance électronique. Six autres ont été condamnés et placés à la fin de leur peine sous surveillance électronique, mesures de libération sous contrainte. Ce contrôle peut être simple, c’est-à-dire que l’on sait si la personne reste bien à son domicile ou pas. Pour les peines les plus lourdes cette surveillance est mobile, les policiers ont accès à une géolocalisation.

Lors de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats du 13 Novembre, cette mesure est discutée par les acteurs spécialisés dans la lutte antiterroriste. Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l'instruction au pôle antiterroriste du TGI de Paris, estime que c'est un «outil faillible, les personnes pouvant partir sans que l'on s'en aperçoive» et conclut que «la détention s'avère bien plus indiquée pour [les personnes] que l'on estime dangereuses».

Marc Trévidic, magistrat antiterroriste pendant de nombreuses années, est encore plus tranchant : «Les juges d'instruction en matière antiterroriste sont logés à la même enseigne que leurs collègues : ils ont deux outils en tout et pour tout à leur disposition, la prison ou le contrôle judiciaire de base. Autrement dit, trafiquants de shit et terroristes font l'objet du même traitement». Il souhaite une solution alternative : «Il faudrait, éventuellement, des centres où ils seraient très encadrés et où l'on traiterait les différents aspects de la question».

Enquête de personnalité

Toujours devant cette commission d'enquête, Didier Le Bret, coordinateur national du renseignement, juge que l'arsenal pénal français doit être durci pour condamner plus sévèrement les personnes en lien avec le terrorisme. Autrement dit, les laisser le plus longtemps possible à l'ombre : «Aucune obligation de pointer, aucun bracelet électronique ne les empêchera de disparaître quand ils le voudront pour revenir ensuite nous frapper ! La durée de détention et les peines sont un véritable problème.»

Pour prendre sa décision de mise en liberté d'Adel Kermiche, la magistrate a ordonné une enquête de personnalité dont certains passages sont révélés par Le Monde. A l'époque, le jeune homme vit mal sa détention et ses déclarations vont convaincre la juge d'instruction. «J'ai envie de reprendre ma vie, de revoir mes amis, de me marier» lui explique le jeune homme, tout juste majeur. Ses parents de leur côté apportent des garanties d'insertion professionnelle dans l'animation.

La juge d'instruction rend alors une ordonnance favorable à sa libération conditionnelle sous surveillance électronique motivée par le fait que le jeune homme a «pris conscience de ses erreurs». Ses parents pensent aussi qu'il peut s'en sortir et ne «tentera plus de partir». Pas convaincu par ces arguments, le parquet fait appel de l'ordonnance. Toujours selon les informations du Monde, le ministère public estime alors, dans son réquisitoire, que les mesures de contrainte d'un contrôle judiciaire s'avèrent «parfaitement illusoires au vu du contexte du dossier». Mais la chambre de l'instruction déboute l'appel du parquet. Adel Kermiche quitte les murs de Fleury-Mérogis.

Avec un bracelet à la cheville, le jeune homme retrouve le domicile de ses parents à Saint-Etienne du-Rouvray. Sa fiche S pour sûreté de l’Etat est en veille, la surveillance électronique permettant une remontée efficace d’informations aux services de renseignement. Il a l’interdiction de quitter le département de la Seine-Maritime et l’obligation de se soumettre à une prise en charge psychologique. Il est autorisé à sortir du domicile familial seulement entre 8h30 à 12h30 les jours de semaine, et de 14h00 à 18h00 le week-end. En commettant son attentat un mardi matin, Adel Kermiche s’est payé le luxe de respecter les modalités de son contrôle judiciaire.