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Jean-Benoît Zimmermann : «Il faut rejeter ces individus dans l’ombre et le néant»

Pour le chercheur Jean-Benoît Zimmermann, en relayant les portraits et détails du parcours des terroristes, nous contribuons à en faire de célébrités. Pour ne plus faire le jeu de l’Etat islamique, il faudrait donc en dire, et en montrer, le moins possible.

Par
Jean-Benoît Zimmermann
Economiste, directeur de recherche CNRS au Groupement de recherche en économie quantitative d’Aix-Marseille
Publié le 28/07/2016 à 20h41

Les événements terroristes qui ont secoué notre pays et le monde occidental depuis dix-huit mois ont ceci de paradoxal que notre désarroi et notre besoin de comprendre ont ouvert la meilleure tribune qui soit aux meurtriers et à Daech. Les médias, qui couvrent tous très largement ces événements, ouvrent une bonne part de leurs colonnes et éditions à décrypter la personnalité et le mode d’action des terroristes, qu’ils soient assassins sanguinaires froidement déterminés et entraînés ou déséquilibrés suicidaires en manque de reconnaissance, comme cette fois-ci à Nice ou hier à Magnanville.

L’Etat islamique a beau jeu alors de publier une revendication attendue avec inquiétude et de jouer sur les nuances sémantiques. Les individus qui ont porté la mort, quant à eux, accèdent à une gloire posthume qui finit ainsi par donner un sens à une vie qui n’en avait plus, une qualification de leur «sacrifice» qui fait d’eux des «martyrs». Et ce sont nous-mêmes, à travers nos médias, leur portrait partout sur le Web, les discours tenus, les spécialistes interrogés, qui confortons cette mise en valeur, qui contribuons à faire des célébrités de ces assassins abjects. Daech et ses meurtriers revendiqués obtiennent ainsi ce qu’ils désiraient et nous instrumentalisent dans cette guerre des esprits indissociable de la guerre physique dans laquelle ils se sont lancés contre nous.

Nous, de tous âges, de toutes conditions sociales, de toutes religions ou non religion, nous endossons ainsi le costume de «mécréants» qu’ils nous attribuent, les musulmans comme les autres, et nous donnons prise à ce pouvoir de terreur qu’ils ont construit contre nous. Ce qui était déjà vrai concernant les terroristes de 2015 l’est plus dramatiquement encore depuis ces dernières semaines, maintenant que des déséquilibrés violents ont mis en pratique les recommandations de l’Etat islamique d’utiliser n’importe quel moyen pour frapper nos populations, devenant ainsi le bras décentralisé des «soldats» du «califat».

Au-delà de la douleur présente, ils génèrent une grande inquiétude pour l’avenir, faisant ainsi sauter le dernier verrou qui peut retenir des frustrés suicidaires d’emporter avec eux dans la mort le plus grand nombre d’humains. Humains contre lesquels ils nourrissent la haine de leur frustration, d’autant plus forte si leurs prochaines victimes sont dans la fête ou dans la joie, au feu d’artifice de Nice, à Orlando, au Bataclan, sur une plage de Tunisie ou tout simplement à la terrasse d’un café joyeusement animé.

Ni l’Etat islamique ni ces fous sanguinaires ne méritent la célébrité que nous leur offrons. Nous devons cesser de donner une tribune à la propagande maudite de Daech, nous devons cesser d’offrir la célébrité aux assassins. Il faut les rejeter dans l’ombre et l’anonymat, s’interdire toute investigation publique sur leur vie ou leur parcours, en dehors des enquêtes de police dont les détails n’ont pas besoin d’être diffusés hormis à la justice et aux familles des victimes. Cesser de s’interroger publiquement sur la durée, la réalité ou les modalités de leur supposée «radicalisation», cesser de s’interroger sur leur religiosité, leur consommation d’alcool, de drogues ou de porc, sur le fait de savoir s’ils ont regardé des vidéos macabres ou si on a retrouvé un drapeau de l’Etat islamique chez eux.

Il faut denier à Daech le droit de s’approprier ces crimes sous le seul prétexte qu’il les auraient inspirés. Cessons d’accepter cela. Refusons-leur de s’approprier nos morts. Montrons-leur que nous ne sommes pas démunis face à cette guerre des esprits qui prolonge de manière peut-être plus pernicieuse encore la souffrance des victimes de ces actes barbares. Il appartient aux autorités musulmanes de ce pays et d’ailleurs de faire un grand pas en avant. Ne plus se contenter de condamner, de dire que ces actes n’ont rien à voir avec la religion musulmane. Il faut rejeter ces individus dans l’ombre et le néant qui les engloutira, tout comme cette pseudo-célébrité à laquelle ils ont aspiré.