«Ex-secrétaire général de la CGT, c'est une étiquette difficile à porter sur le marché du travail. Cela complique la recherche d'un boulot», confiait Thierry Lepaon à Libération en octobre 2015. Neuf mois plus tôt, poussé dehors par la polémique sur son train de vie, il avait dû quitter son bureau, rénové à grands frais, au siège du syndicat, à Montreuil. Finalement, après plusieurs mois sans activité, le cégétiste va retrouver un nouveau bureau, couplé d'une mission. Celle de «préfigurer» la future Agence de la langue française pour la cohésion sociale, pour le compte du gouvernement. Objectif principal de cette nouvelle agence : offrir une formation à toutes les personnes maîtrisant mal la langue de Molière. Ce qui, assure le Premier ministre, ne devrait pas remettre en cause l'existence de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) qui œuvre déjà dans ce domaine.
«Pantouflage»
Pour préparer la création de cette Agence de la langue française pour la cohésion sociale, qui verra le jour le 1er janvier 2017, «le Premier ministre a désigné Thierry Lepaon, très investi sur le sujet depuis plus de vingt ans», a donc annoncé, mercredi, Ericka Bareigts, secrétaire d'Etat à l'Egalité réelle. L'ex-numéro 1 de la CGT devra, ainsi, remettre un rapport à Manuel Valls avant le 30 septembre pour préciser son organisation. Mais il est surtout pressenti pour en prendre la tête, par la suite. De quoi faire jaser sur les réseaux sociaux, où certains crient au «pantouflage». Comme la porte-parole des Républicains, Valérie Debord, qui dénonce «un recasage de plus dans la République bananière d'Hollande».
Ce dont se défend Lepaon : «Je ne suis vendu auprès de personne», s'est-il empressé de répondre, jeudi, sur France Info, expliquant se préoccuper de «ces questions», depuis «plus de vingt ans», et avoir par ailleurs, eu, lui-même, des difficultés avec l'écrit lors de l'enfance. D'autant que, martèle-t-il depuis des mois, l'illetrisme est un «fléau» sur lequel il a déjà planché, par le passé, alors qu'il exerçait d'autres fonctions au sein du Conseil économique, social et environnemental de Basse-Normandie.
Salaire tenu secret
Au siège de la CGT, l'heure est plutôt au soulagement, cette nomination permettant de remiser la «crise Lepaon» pour de bon. D'autant que, comme le répète Thierry Lepaon, à souhait, «la commission qui a été mise en place [par la CGT, ndlr] [l]'a blanchi complètement». Pour Céline Verzeletti, membre de la direction de la CGT, citée par l'AFP, «cela tourne la page de façon assez respectueuse des uns et des autres». Mais loin de Montreuil, d'autres font une tout autre analyse : «C'est la dernière manipulation pour finir de décrédibiliser la CGT : Lepaon n'a pas de colonne vertébrale, il se répand partout pour dire que la langue française ce n'est ni de droite ni de gauche…», souffle un dirigeant de la majorité. Soit l'antiportrait du militant de la CGT. De quoi casser un peu l'image de la centrale contestataire, alors que Philippe Martinez, son actuel secrétaire général, promet de relancer sa fronde anti loi travail dès septembre.
Reste une autre petite satisfaction pour la CGT : le nouveau «job» de Thierry Lepaon va aussi lui permettre de faire des économies. Jusque-là, le syndicat continuait de verser un salaire à son militant, et ce alors qu'il n'exerçait plus aucune responsabilité. «La CGT doit être cohérente avec ce qu'elle préconise, il était hors de question de le licencier tant qu'il n'avait pas trouvé un débouché», explique Verzeletti. Reste une inconnue : son nouveau salaire, tenu secret par Thierry Lepaon. «Ce n'est pas un sujet de discussion», a-t-il botté en touche sur France Info. Avant d'ajouter, comme pour convaincre ceux qui pourraient en douter : «C'est une mission qui est rémunérée, c'est un vrai travail.»