Cinq jours après l’assassinat du père Hamel par deux jihadistes dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, les enquêteurs s’attachent à mettre au jour le milieu dans lequel évoluaient les jeunes hommes de 19 ans. Si Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean avaient été repérés chacun de leur côté par les services de renseignement, ceux-ci n’avaient pas détecté leur passage à l’acte imminent. Petitjean était fiché S depuis le 29 juin pour radicalisation, tandis que Kermiche, ciblé par la justice antiterroriste pour avoir tenté deux fois l’an dernier de rejoindre la Syrie mais pas encore jugé, était, lui, sous le coup, contre l’avis du parquet, d’un contrôle judiciaire avec assignation à résidence sous surveillance électronique. Le point sur l’enquête.
• Un homme identifié comme Farid K., un Français de 30 ans originaire de Nancy (Meurthe-et-Moselle), un cousin d'Abdel Malik Petitjean, a été mis en examen et écroué dimanche. Celui-ci «avait parfaitement connaissance, si ce n'est du lieu et du jour précis, de l'imminence d'un projet d'action violente de son cousin», a fait savoir dimanche le parquet de Paris. Une information judiciaire a été ouverte pour «participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» et «assassinat en bande organisée, commis en raison de l'appartenance de la victime à une religion, en relation avec une entreprise terroriste». Farid K. était le dernier des membres de l'entourage de Petitjean à être en garde à vue. Selon le parquet, son casier judiciaire ne porte trace que d'une condamnation en novembre 2009 à 800 euros d'amende pour infraction à la législation routière. Mais selon une source citée par l'AFP, «l'exploitation de son téléphone et de son ordinateur a révélé qu'il en savait bien plus que ce qu'il a voulu dire aux enquêteurs.»
• Alors que les enquêteurs cherchent toujours à savoir précisément comment Petitjean et Kermiche, qui vivaient à 700 kilomètres l'un de l'autre, se sont connus, l'AFP cite une source proche du dossier selon laquelle les téléphones des deux tueurs ont «borné aux mêmes endroits» trois jours avant l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray. Notamment dans la zone du domicile de Kermiche. Selon la Voix du Nord et le Parisien, les deux jihadistes se sont rencontrés via Telegram, la messagerie mobile cryptée aux 100 millions de membres. «[Ils] ne se connaissaient pas» physiquement et «seraient entrés en contact pour la toute première fois le 22 juillet, soit quatre jours avant leur passage à l'acte», précise le Parisien en s'appuyant sur les investigations de la Sous-direction antiterroriste (Sdat).
• Sur Telegram, selon des documents audio révélés vendredi par l'Express, Adel Kermiche avait décrit par avance le mode opératoire de l'attentat, évoquant «un couteau» et «une église». Cité par la Voix du nord, un membre du groupe qui suivait le compte Telegram de Kermiche, et qui se présente comme fiché S lui aussi, affirme avoir eu «des contacts réguliers» avec le jihadiste et être lui-même «un des maillons de la chaîne [qu'il avait] mise en place». Il explique par ailleurs avoir consulté Kermiche pour… son «enseignement religieux». Comment se sont-ils connus sur Telegram? Ont-ils été mis en contact ? Est-ce par cette messagerie, dont les jihadistes de l'EI sont friands, que les tueurs ont potentiellement reçu des ordres ? Autant de questions auxquelles les enquêteurs tentent de répondre en analysant les messages envoyés par les tueurs. «Décrypter le protocole de chiffrement prend du temps et ce travail est d'autant plus complexe que Kermiche et Petitjean étaient en lien avec de nombreuses personnes sur ce réseau social», a expliqué à l'AFP une source proche du dossier.
• La garde à vue d'un mineur de 16 ans a, elle, été levée. Mais celui-ci n'en a pas fini avec la justice car des documents de propagande jihadiste ont été trouvés dans son ordinateur. Autant d'éléments que le parquet de Paris a transmis à ses collègues de Rouen, territorialement compétents pour ouvrir une procédure pour «apologie du terrorisme». Mais c'est son frère, Adel B., qui intéresse particulièrement les enquêteurs : proche d'Adel Kermiche, originaire comme lui de Saint-Etienne-du-Rouvray, il est parti en zone irako-syrienne en 2015, à l'âge de 26 ans. Les services antiterroristes se demandent s'il a pu jouer, depuis la Syrie, un rôle dans l'attentat contre le père Hamel.
• Par ailleurs, un mineur de 17 ans qui avait cherché à partir en Syrie avec Kermiche en 2015 a été arrêté avant l'attentat du 26 juillet à Genève lors d'une seconde tentative pour rejoindre l'EI. Remis à la France, il a été emprisonné, a indiqué samedi à l'AFP une source proche de l'enquête. Mais rien ne prouve en l'état de l'enquête son lien avec l'assassinat du père Hamel. Un autre homme de 19 ans, Omar C., fiché S pour radicalisation et arrêté le 25 juillet – veille de l'attentat – dans une enquête distincte menée par les services de renseignement, a, lui, été mis en examen vendredi et écroué. Une vidéo de Petitjean datant de courant juillet dans laquelle celui-ci prêtait allégeance à l'EI et évoquait «une action violente», avait été retrouvée chez lui dans un téléphone. C'est à partir de cette même vidéo que l'Unité de coordination antiterroriste avait diffusé en urgence, le 22 juillet, une note aux services de police et de gendarmerie avec la photo – mais pas le nom – de Petitjean. Une course contre la mort s'était alors engagée mais les deux jihadistes avaient pu passer à l'acte, avant d'être tués.
• Enfin, un Français de 20 ans a été interpellé puis mis en examen, dimanche, dans le cadre d'une autre procédure ouverte sur une filière de candidat au jihad. Jean-Philippe J. s'était rendu en Turquie le 10 juin avec Petitjean avant d'être refoulé, comme lui, dès le lendemain à cause de sa fiche S. Petitjean, qui n'était pas signalé pour radicalisation à l'époque, était aussi rentré en France.
• Quant au réfugié syrien interpellé dans l'Allier et placé en garde à vue depuis jeudi, il a été relâché selon une source judiciaire citée par l'AFP. La photocopie de son passeport avait été retrouvée chez Adel Kermiche, mais aucun élément n'est venu démontrer qu'il avait un quelconque lien avec les faits.