La cathédrale de Rouen est littéralement en état de siège. Armés de fusil, CRS et gendarmes gardent toutes les issues du lieu de culte pour les obsèques, ce mardi, du père Jacques Hamel. Avant d'entrer, les fidèles sont fouillés. Puis, sous bonne escorte, ils sont conduits par petits groupes à l'intérieur. «Le père Hamel était un homme simple. Nous avons gardé un maximum de places pour que les anonymes puissent assister aux obsèques», a tenu à préciser, avant la cérémonie, l'archevêque de Rouen, Dominique Lebrun.
Une demi-heure avant le début des funérailles, la cathédrale, contenant 1700 places, est comble. Sur le parvis, un millier de fidèles bravent courageusement la pluie. Catholiques non pratiquants, Brigitte et Jacques, un couple d'une soixantaine d'années qui habite la région, ont tenu à être là. «Il faudrait que des fidèles de toutes les religions assistent aux funérailles du père Hamel, confient-ils. Nous avons voyagé dans des pays où les communautés vivent en bonne intelligence. Il faut que nous ayons cela en France.»
Deux imams d’origine irakienne
Assassiné par deux terroristes, la semaine dernière, à Saint-Etienne-du–Rouvray (Seine-Maritime), le prêtre est devenu un symbole, celui du «martyr» dans la rhétorique chrétienne, mais aussi – et peut-être surtout – du rassemblement et de l'unité. «C'était un prêtre bon qui aimait les gens, les pauvres. C'était un homme du vivre ensemble», dit de lui Bachar el-Sayadi, président de l'Union des musulmans de Rouen. Deux imams d'origine irakienne d'une petite mosquée chiite des Lilas (Seine-Saint-Denis) ont fait spécialement le déplacement pour assister aux funérailles. «C'est un devoir, disent-ils. C'est la même arme qui a tué 300 personnes en juillet dans un marché à Bagdad et le père Hamel.»
Au milieu du chœur, le cercueil du prêtre est posé à même le sol. Dessus, deux prêtres étendent une chasuble blanche et une étole rouge, la couleur du sang. Choisie par la famille, une photo représente Jacques Hamel en costume cravate, loin de ses attributs ecclésiastiques. En haut de la nef, les premiers rangs sont réservés aux personnalités politiques. Il y a là notamment le ministre de l'Intérieur, chargé des Cultes, Bernard Cazeneuve, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, ancien élu de la région, et Hervé Morin, le président du conseil régional de Normandie. «Nous voici rassemblés comme Jacques Hamel n'aurait pas aimé : dans une église avec des personnalités et une foule, des caméras… Nous voici aussi comme le père Jacques aurait aimé : se mettre ensemble, communier, en étant attentifs les uns aux autres», décrypte Dominique Lebrun.
Guerre d’Algérie
Discrète, silencieuse jusqu'à ces funérailles, violemment ébranlée, la famille Hamel évoque leur frère et oncle avec une grande émotion. Chancelante, sa sœur Rose explique que pendant la guerre d'Algérie, il avait refusé d'être officier parce qu'il ne voulait pas avoir à «donner l'ordre à ses hommes de tuer d'autres hommes». L'une de ses nièces, Jessica, dit son admiration «pour sa patience et sa gentillesse». De Jacques Hamel, elle retient son message. «Après Charlie Hebdo, j'avais posté cette phrase : "Puissions-nous garder tolérance et discernement". Je ne pensais pas devoir m'appliquer cette phrase avec autant de force et de conviction. Mais je vais le faire et vais réussir», dit-elle, effondrée.
Dans une homélie forte, l'archevêque de Rouen rend hommage à Jacques Hamel, dénonce le mal qui est «un mystère», appelle à la résistance par la paix, même s'il ne s'agit pas d'«excuser les assassins, ceux qui pactisent avec le diable». «Les paroles et les gestes nombreux de nos amis musulmans, leur visite sont un pas considérable», appuie-t-il. Une homélie dans le ton de ce que disent, depuis une semaine, les leaders religieux : l'unité pour contrer d'éventuelles tentations de vengeance.
A la fin de la cérémonie, la cloche sonne le glas. Une longue procession de prélats et de prêtres accompagne le cercueil jusqu’au parvis. La foule applaudit. Selon le vœu de la famille, le lieu de l’inhumation reste inconnu.