Même en partance pour le Brésil, même en citant Dario Moreno, François Hollande ne décroche pas. Attentats, sécurité de la France, protection des Français et de l’Etat de droit, tentations totalitaires des deux côtés de l’Atlantique : les sujets graves s’enquillent mardi soir lors de la traditionnelle rencontre estivale entre le chef de l’Etat et les journalistes chargés du suivi de l’Elysée.
Les Jeux olympiques qui s’ouvrent vendredi n’échappent pas à cette leçon de sérieux présidentielle. En contrebas, la rue où se déroule le rendez-vous, loin de l’Elysée, a été entièrement coupée. Des policiers en civil et d’autres lourdement armés filtrent les entrées, comme pour souligner le propos présidentiel. Même sous les dorures du salon hors d’âge où Hollande évolue comme un poisson dans l’eau, une demi-douzaine de gardes du corps veillent autour de lui.
«Aller à Rio, ça pourrait être réjouissant, presque sur un air d'opérette, explique Hollande qui consent là à glisser un sourire - ils seront rares au fil de la soirée. Mais si je vais à Rio, c'est par responsabilité». Comprendre : pour défendre la candidature de Paris aux JO de 2024 mais surtout tenter de rassurer le CIO sur la capacité de la France à assurer la sécurité d'un tél événement mondial après les attentats de juillet, qui ont frappé dès l'Euro de football terminé en France. «Je leur répondrai qu'aucun pays ne peut penser qu'il est à l'abri d'un acte terroriste», souligne le chef de l'Etat qui s'envole mercredi soir au Brésil pour 48 heures. Au passage, Hollande se permet quand même une petite gourmandise politico-politique : le CIO l'interroge donc sur 2024, lui le président qui n'a pas encore décidé s'il était candidat à sa succession et que les sondages donnent perdant quelle que soit la configuration des premiers et deuxième tours. «C'est dire la confiance qu'on me prête, c'est loin 2024», minaude le chef de l'Etat.
Macron, raillé sans être cité
S'en suivent des conseils qui valent tout autant pour la candidature de Paris que pour la conduite de la politique nationale. Le chef de l'Etat voyage avec la maire de Paris (PS) Anne Hidalgo, et la présidente de la région Ile-de-France (Les Républicains), Valérie Pécresse. Une sorte d'union sacrée pour une cause commune. «C'est toujours mieux quand il y a une équipe de France capable de se retrouver sur l'essentiel et de ne pas faire des sujets de polémique», vante Hollande. Visant surtout la droite, sa surenchère sécuritaire et ses «médiocrités». En résumé pour Hollande, Nicolas Sarkozy en fait beaucoup trop et Alain Juppé a totalement loupé le coche après l'attentat de Nice : «Quand vous êtes sur le ni-ni, c'est que vous n'etes pas tout à fait au clair sur vos propositions», ironise le chef de l'Etat en allusion à l'ancien ministre. Mais son ministre de l'Economie Emmanuel Macron en prend aussi pour son grade, lui qui est accusé par une partie de la majorité de ne pas jouer collectif.
Aucun dirigeant politique ne sera nommé pendant les vingt minutes de son discours informel. Mais le président ne peut s'empêcher de faire des allusions. Il estime que les journalistes politiques doivent aimer la politique autant que les hommes politiques eux-mêmes. «Ce qui me surprend toujours, ce sont les hommes politiques qui n'aiment pas la politique. Et puis, il y a ceux - oh j'ai dû le dire moi aussi un jour - qui veulent faire de la politique autrement… Comme si cela existait…», soupire Hollande, visant un Macron qui a créé son propre parti avant de se lancer dans sa «grande marche» à la rencontre des Français.
Rempart de l’Etat de droit
Depuis l'attentat de Nice, de nombreuses voix à droite ont appelé à des mesures d'exception dérogeant à l'Etat de droit, quitte à reléguer la Constitution au rang d'obstacle à la protection des Français ou de simples «arguties juridiques», selon les mots de Nicolas Sarkozy. Refus catégorique et répété de Hollande. «Si à chaque attentat on fait une loi de plus, où on va ? s'interroge-t-il. C'est là que la démocratie doit avoir la force nécessaire pour prendre les bonnes dispositions, […] L'Etat de droit n'est pas contradictoire avec la raison d'Etat qui consiste à protéger les Français […] L'Etat de droit, c'est la protection, la sécurité et la liberté qui permet de rester ensemble sans suspicion ».
Sa position institutionnelle induit ce rôle de rempart constitutionnel. Mais Hollande glisse inévitablement sur le terrain politique. En 2017, «un candidat de gauche comme vous dites, et on verra qui ce sera, a plus de chance de gagner en disant ce qu'il est possible ou pas possible de faire plutôt qu'en allant dans la fuite en avant», fait valoir le chef de l'Etat. Donner un nouveau tour de vis, céder sur le terrain des libertés publiques, accepter les demandes de la droite ne constituera jamais une garantie qu'il n'y aura plus d'attentats. Il veut bien prendre le risque que les Français lui disent dans huit mois qu'il n'est pas assez loin mais il brandit son bilan sécuritaire comme un bouclier, contrairement à Lionel Jospin en 2002 : «cette fois, qui pourra dire que nous avons fait des lois laxistes»?