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Burkini : une polémique en eau vive

Burkini, une polémique françaisedossier
La privatisation, prévue le mois prochain, d'un parc aquatique des Bouches-du-Rhône par une association réservant l'événement aux femmes, et les invitant à porter une tenue de bain islamique, fait l'objet d'une polémique qui n'a rien à voir avec le droit.
Le flyer de présentation de la journée privatisée spéciale «burkini/jilbeb». (DR)
publié le 4 août 2016 à 20h18

Une association privée loue pour une journée un lieu privé – en l'espèce Speedwater Park des Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône) –, invitant les femmes à venir s'y baigner en «burkini et jilbeb de bain», ces tenues aquatiques islamiques couvrant le corps de la tête aux chevilles. Il suffit d'énoncer cette phrase pour déceler tout le carburant à polémique qu'elle contient. Si, in fine, des femmes voilées se retrouvent à se baigner habillées, sans la présence d'hommes de plus de 10 ans (en dehors des maîtres-nageurs), il convient de ne pas confondre, au moins sur le plan du droit, la problématique posée par cette «affaire» avec la revendication de créneaux réservées aux femmes dans des installations publiques, telles qu'une piscine municipale, par nature ouverte à tous et à toutes. Ajoutons, au passage, que le parc privé devait être fermé à la date dudit événement : sa tenue ne privait donc personne de l'usage des installations.

Certes, l'extrême droite, emmenée par le sénateur marseillais Stéphane Ravier, a crié à la charria made in France : «Fini le 'vivre-ensemble', place au vivre avec le communautarisme islamique. […] Cette journée islamique démontre qu'au-delà des discours rassurants des autorités musulmanes, un certain nombre de musulmans se coupent volontairement de notre modèle républicain.» Certes, la droite, avec en tête la députée des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer, a entonné le même refrain, montant au créneau pour lancer : «Nous ne pouvons pas tolérer de telles pratiques dans notre pays !», voyant dans cette journée «l'expression la plus visible des intégristes».

«Provocation dont on n’a pas besoin»

Autant de réactions – et certains à gauche ont eu peu ou prou les mêmes – qui passent par pertes et profits le caractère tout à fait légal de cette manifestation privée. Ce n'est pas un détail. Face à la polémique, le maire et sénateur (divers gauche) des Pennes-Mirabeau, commune où est situé le parc aquatique, a toutefois décidé de transmettre au préfet un projet d'arrêté municipal d'interdiction. Dans le Parisien, Michel Amiel a pointé cette manifestation «comme une provocation dont on n'a pas besoin dans le contexte actuel. C'est du communautarisme pur et dur».

Et le maire de justifier l'interdiction, non pas au nom du principe de laïcité, qui n'est en rien bafoué dans cette histoire, mais «en raison des menaces de troubles à l'ordre public». Sur Europe 1, il a ajouté : «Le préfet prendra la décision de le valider ou de me demander de le retirer, ce que je ne ferai pas et à ce moment-là, c'est le juge administratif qui décide. […] Il n'y a pas de problème communautaire [dans ma ville], et je ne pense pas que ce soit cet événement qui va en créer. Je pense toutefois qu'une grande majorité de la population des Pennes-Mirabeau approuvera ma décision, ou en tout cas la comprendra.»

Contre-productif

Si la démarche de Smile 13, l'«association culturelle, sportive et d'entraide pour femmes et enfants» des quartiers Nord de Marseille, organisatrice de l'événement, qui dit «respecter tout le monde» et ne pas être «cultuelle», est évidemment communautariste, que gagne-t-on à la stigmatiser comme le signe avancé d'une islamisation conquérante de la société française, menaçant notre République ? Sans en rabattre sur la défense de la laïcité, là où celle-ci est en cause, la question mérite d'être posée. Mais quoi de commun entre un parc aquatique privé et les sanctuaires laïcs que sont une école, un collège ou un lycée ? Priver de ce loisir certaines femmes, au nom de leurs droits – elles revendiquent celui de se baigner ainsi – ne risque-t-il pas d'être en premier lieu contre-productif, suscitant un sentiment d'injustice ? On peut aussi se demander si les risques de troubles pointés par le maire ont été limités ou renforcés par les élus sortis du bois pour crier au loup.

Patrick Mennucci, élu marseillais et député PS, a été l'un des rares à ne pas plonger dans la polémique : «Le bain habillé est-il contraire à la loi en France ? Non. Privatiser un lieu est autorisé», a-t-il réagi sur Twitter, dénonçant une «polémique anti-musulmans de plus». Une polémique «inutile», a appuyé sa collègue sénatrice Samia Ghali, elle aussi élue de la cité phocéenne, jugeant que cela «entretient les confusions sur les vrais enjeux de nos combats». Et d'ajouter : «L'intolérance ne doit pas changer de camp. […] Cette hystérisation de la société sur l'islam, ses pratiques et coutumes doit cesser car elle touche profondément à la liberté de conscience.» La trésorière de l'association Smile 13 a ainsi dénoncé : «On est dans un pays faussement libre. Certaines femmes ne peuvent pas se baigner dans ce parc en temps normal car elles ont des convictions religieuses ou personnelles et ne souhaitent pas se dénuder devant certaines personnes.»