Rekkem, en Belgique, sur l'autoroute A22, entre Gand et Lille. On avait, ici, l'habitude de passer la frontière à 90 km/h. Tout juste une petite limitation de vitesse, pour marquer le coup. Mais, depuis les attentats de novembre, on prend son mal en patience pour entrer en France. L'autoroute a été fermée et le trafic venant de Belgique dérouté vers le parking adjacent. Les voitures et les camions roulent au pas, scrutés par les forces de l'ordre françaises. Un véhicule est jugé «intéressant» ? Il est prié de sortir de la file et de se ranger sur le bas-côté.
Vendredi matin, les douaniers de la brigade de surveillance intérieure (BSI) de Halluin-Rekkem sont à pied d'œuvre. Avec gilets pare-balles, obligatoires depuis l'état d'urgence. Un bus, liaison Paris-La Haye, est arrêté : tous les bagages sont sortis, alignés en rang d'oignon. «On recherche des stupéfiants», explique l'adjoint de surveillance de la brigade, Alain Broux. Le maître-chien et son berger allemand les passent en revue. L'un d'eux retient leur attention. Choux blanc : le sac contient des médicaments.
Les voyageurs reprennent leur route. Sauf un couple de Néerlandais. L’homme a adressé un doigt d’honneur aux douaniers, sa provocation se solde par une amende de 450 euros pour outrage à agent, et trois heures perdues entre le contrôle des bagages et la verbalisation.
On voit de tout à Rekkem, l’un des points chauds du territoire. C’est ici, en effet, que passe une grande partie du trafic issu des pays du Nord, des grands ports d’Anvers, de Rotterdam ou d’Amsterdam, transporté dans les 2 500 poids lourds qui filent chaque jour. Route migratoire vers l’Angleterre, contrebande en tout genre, et maintenant, menace terroriste, tous les voyants sont allumés.
Embouteillages
Depuis les attaques de Paris, la présence des forces de l'ordre est permanente, de jour comme de nuit. Le job a d'abord été confié à la police aux frontières (PAF). Mais, avec l'attentat de Nice, les contrôles ont été renforcés et il a fallu soutenir les policiers, épuisés. Le préfet du Nord a sollicité les douaniers, priés de revenir sur la frontière. D'habitude, ils travaillent en brigade mobile, sillonnant les autoroutes de leur secteur, et arrêtant de façon aléatoire les véhicules suspects. Leur cœur de métier, ce sont les marchandises frauduleuses, pas les contrôles d'identité. «Si nous contrôlons un fiché S, nous devons le remettre à un officier de police judiciaire, car il est l'autorité habilitée à gérer la procédure. C'est pour cela qu'à Rekkem, il y a toujours un officier de la PAF avec nous», précise Alain Broux.
Du coup, les embouteillages sont récurrents côté belge, jusqu'à 7 kilomètres en amont du barrage. Et ont déjà causé des accidents importants. Dernier en date, trois blessés graves, le 28 juillet, avec une caravane prise en sandwich entre deux camions. Les gens du coin le savent et passent ailleurs : «La frontière, ici, c'est un vrai gruyère, où il y a plus de trous que de fromage», soupire Alain Broux. Facile, en effet, avec un GPS, de trouver une route moins fréquentée. Depuis le 15 juillet, l'Etat a réquisitionné l'armée pour contrôler les points de passage secondaires. Juste en face des bureaux de la brigade, c'est la Légion étrangère qui s'y colle, en pleine zone urbaine, entre Halluin (Nord) et Menin (Belgique), là où il suffit de traverser la rue pour changer de pays. Les fonctionnaires se saluent, en toute cordialité, tous embarqués dans la même mission. Même si, à Rekkem, ils ne se parlent pas beaucoup, et ne coordonnent pas leurs contrôles. Chacun ses profils : la PAF va par exemple arrêter une camionnette belge, à l'allure cabossée, conduite par un homme visiblement d'origine maghrébine, quand les douaniers sont attentifs aux berlines puissantes, utilisés par les dealers pour les «go-fast», ces allers-retours à toute berzingue entre Pays-Bas et France.
Aubettes
Etrange tête à queue de l'histoire : il y a deux ans, la barrière douanière de Rekkem a été entièrement détruite. «On se demande bien pourquoi», maugrée-t-on dans les rangs. Jusqu'en 1993, c'était même l'un des points de contrôle fixes les plus fréquentés de France, avec toute la logistique qui va avec : aubettes, éclairage approprié la nuit, bureaux, etc. A l'époque, Lille comptait jusqu'à 800 douaniers, contre 200 aujourd'hui.
Plus de vingt ans plus tard, on a paré au plus pressé : la PAF a obtenu le dressage d'une tente pour s'abriter de la pluie et deux préfabriqués servent pour les fouilles au corps. Et 40 douaniers sont attendus en renfort. Un précaire parti pour durer. «Je crois que les contrôles vont s'intensifier», murmure pour lui-même Alain Broux.
Photo Aimée Thirion