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Libération
2017

L’animal politique Hollande reprend du poil de la bête

Avec la menace terroriste, les thèmes régaliens comme la sécurité devraient être au cœur de la campagne. Un contexte dans lequel le Président se pose en protecteur des Français et de l’Etat de droit.
François Hollande lors de la minute de silence au ministère de l’Intérieur le 18 juillet, quatre jours après l’attentat de Nice. (Photo Laurent Troude pour «Libération»)
publié le 5 août 2016 à 20h01

Ce n'était pas un soupir de soulagement, vu la gravité de la menace qui pèse désormais sur le pays. Mais les proches de François Hollande ont observé d'un œil attentif le Président reprendre du poil de la bête lors de cet été tragique que traverse la France. Tétanisé derrière son pupitre tricolore, apparemment sous le choc et presque balbutiant au soir du 13 novembre, le chef de l'Etat leur est (ré)apparu comme l'animal politique qu'ils soutiennent depuis plus de trente ans, prêt à la bataille au fil de ses interventions après les attaques de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray. Pour preuve, «il réutilise ses mains, il bouge, commente un ami du chef de l'Etat. On sent qu'il a envie de rentrer dans tout le monde. Il se sent investi d'une mission». Celle d'être le bouclier pour les Français face au terrorisme, et le rempart de la République face à la droite et l'extrême droite. «Cela fait à la fois un programme et un slogan» pour 2017, sourit un dirigeant socialiste. Cette fameuse défense de la «maison France», étrange formule prononcée le 14 Juillet.

François Hollande n'est pas devenu - très loin s'en faut - le candidat naturel de son camp. Mais, à huit mois de la présidentielle, les questions de sécurité qui ont pris le pas dans l'opinion sur les préoccupations économiques modifient le paysage politique en général et le jeu à gauche en particulier. «Il y a une bataille qui s'ouvre dans la société française autrement plus importante que la loi travail, analyse le député de l'Essonne Julien Dray. Une partie de la gauche jouait consciemment ou inconsciemment la défaite pour peser sur la suite. Mais aujourd'hui, ce qui est en jeu, c'est autre chose.» «La France et la démocratie, c'est là-dessus que ça va se jouer, a expliqué François Hollande en personne mardi soir, lors de sa traditionnelle rencontre estivale avec les journalistes en charge de couvrir l'Elysée. Vous calquez un modèle social dessus après.» Et seulement après. Exit le bras de fer annoncé sur les questions économiques et sociales avec la droite et «l'autre gauche», après un quinquennat où le chômage a continuellement augmenté malgré la politique de l'offre (40 milliards d'euros distribués aux entreprises, du jamais vu).

«J’ai vraiment tout eu, et je vais continuer à en avoir»

Pour l'Elysée, la campagne se préparait comme celle de la gauche de gouvernement et du «compromis» face à la droite ultralibérale. Comme un long exercice de pédagogie sur le bilan d'un président sortant malmené comme jamais dans les sondages. Pas de quoi emballer le match, ni le premier cercle. Selon un proche, Hollande était «abattu» au début du mois de juillet, après le choc du Brexit. Depuis quatre ans, «j'ai vraiment tout eu», expliquait-il à ses visiteurs du soir. «Et je vais continuer à en avoir», ajoutait-il dans une confidence aussi lucide que prémonitoire. Patrick Kanner se raccrochait, lui, à d'infimes signaux positifs. «Hollande a fait tous les matchs de l'équipe de France pendant l'Euro et il n'y a pas eu un seul sifflet, donc il n'est pas mort», analysait le ministre des Sports peu avant le carnage du camion fou sur la promenade des Anglais le soir de la fête nationale. A cette époque, pourtant pas si lointaine, «c'était honnêtement très compliqué, même pour nous, d'expliquer le sens d'une nouvelle candidature, abonde un parlementaire légitimiste. A part de nous dire qu'on était avec lui depuis toujours et que le quinquennat se terminait à peu près bien. Et encore… Là, on entre dans une nouvelle session». Où il s'agit de défendre l'Etat de droit face à une droite versant dans l'autoritaire. «L'Etat de droit n'est pas contradictoire avec la raison d'Etat qui protège les Français, fait valoir Hollande, qui attaque autant Donald Trump que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy. Entre autorité et autoritaire, ce n'est pas une différence de degré mais de nature.» Le président socialiste, qui réfute le procès en angélisme qui a en partie coûté l'Elysée à Lionel Jospin en 2002, poursuit : «Cette fois, qui peut dire que nous avons fait des lois laxistes ? On peut nous dire que nous ne sommes pas allés assez loin… Les Français décideront. Mais la question qui va leur être posée, c'est dans quel pays voulez-vous vivre ?» Au sein de la majorité, certains doutent que ce discours de la raison, indispensable, permette à l'exécutif de s'en tirer vu l'état de l'opinion après ces nouveaux attentats. «L'honnêteté des comportements à la tête de l'Etat, ça ne suffit plus pour les Français», craint l'ex-ministre de l'Ecologie Philippe Martin, élu du Gers.

Depuis janvier 2015, au fil des attentats, François Hollande cherche à s'élever au-dessus de la mêlée politicienne, faisant mine de ne pas se préoccuper de sa réélection et consacrant une part de plus en plus large au jugement que portera l'histoire sur son «quinquennat de calvaire», selon les mots de Julien Dray. «Avançons, sans regret, sans calcul, sans répit, et sans savoir, comme le disait Jaurès, quelle récompense nous sera réservée. La récompense, elle ne sera pas dans l'histoire, la récompense, elle sera dans l'avenir», proclamait Hollande début mai dans son discours à l'occasion des 80 ans du Front populaire. Au poste de Président, «nous ne faisons pas que rappeler l'histoire, nous la faisons», ajoutait-il trois semaines plus tard sur France Culture. Avant de noter qu'un homme politique «décrié et repoussé peut devenir un héros». Comme Churchill, Clemenceau… ou lui-même. «Chaque présidentielle est vécue comme une période historique, mais là, le contexte est particulièrement lourd, essentiel, décisif», insiste-t-il encore mardi auprès des journalistes chargés du suivi de l'Elysée. Qui en sont quittes pour une petite leçon de responsabilité éditoriale, priés de se discipliner vu les enjeux de sécurité et le caractère volatil du débat politique. «Mais je ne vous dis pas ce que vous devez faire, même si tous les jours vous me dites ce que je dois faire», s'amuse Hollande, qui élude dès que «2017» ressurgit dans la conversation. «Un candidat de gauche - comme vous dites, on verra qui ce sera - a plus de chances de gagner en disant ce qui est possible et ce qui ne l'est pas qu'en allant dans la fuite en avant» sécuritaire, explique-t-il dans un sourire. Son entourage s'en tient au calendrier décidé au printemps : le chef de l'Etat annoncera ses intentions en décembre. Après la primaire de la droite (fin novembre) et avant Noël.

Même sans feu vert officiel, certains phosphorent, à l'Elysée et au Parti socialiste, tant sur les idées que sur l'organisation logistique d'une campagne en plein état d'urgence, personne ne doutant qu'il sera prolongé après janvier. Privilégier les petites réunions, bannir les «déambulations» si chères à Hollande, investir massivement les réseaux sociaux et inonder les électeurs de tracts et de «séquences désintox» pour démonter les arguments du camp d'en face. Pas un mot sur un éventuel programme, même si de nombreux socialistes estiment que le «renouveau démocratique» devrait constituer la trame de la future offre hollandaise, le cœur d'un «discours du Bourget 2017». «S'il y a une chose qui peut rabibocher la gauche, ce sont les enjeux institutionnels», estime un conseiller hollandais. Réduction du nombre de parlementaires, accélération du travail législatif, introduction d'une dose de proportionnelle, droit de vote des étrangers aux élections locales… la palette est large et beaucoup de ces promesses n'ont jamais été tenues jusqu'alors par la gauche. Hollande devrait donner quelques indices début septembre, puisqu'il a prévu un grand discours devant la Fondation Terra Nova, sur le modèle de celui qu'il a déclamé à la Fondation Jean-Jaurès en mai. «Il travaille, il bosse, il écrit, il voit des gens, raconte un conseiller. Mais tout ça se fait entre deux appels diplomatiques et 50 SMS liés à la sécurité, donc c'est plutôt en pointillés.»

«Une classe qui ne tolère plus les chahuteurs»

Stratégiquement, l'injonction du rassemblement va aller croissant à gauche. Quand François Hollande et Manuel Valls demandent aux Français et à l'opposition de «faire bloc» contre le terrorisme, ils adressent aussi un message subliminal à leur majorité, à leur camp. Au sommet de l'Etat, on est persuadé que l'aventure solitaire d'Emmanuel Macron est terminée. «Etant donné la menace, tu ne confies pas le pays à un mec dont le seul bilan est d'avoir mis 3 000 bus de plus sur les routes de France», raille un pilier de l'Assemblée nationale. Quid de la flopée annoncée de candidats de gauche aux primaires, socialiste ou écologiste ? «Vu la situation, prévient Dray, on est dans une classe qui ne tolère plus les chahuteurs.»

Contrairement aux attentats de 2015, les attaques de juillet n'ont toutefois offert aucun répit sondagier au chef de l'Etat. Mais depuis des mois, l'entourage de Hollande table de toute façon sur une faible mobilisation au printemps prochain. Surtout si les têtes d'affiches sont les mêmes qu'il y a cinq ans, - François Hollande, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Le seuil de qualification au premier tour serait donc mécaniquement assez bas, autour des 20 %. «2002 était une présidentielle d'obligation, 2007 une campagne d'espoir avec une offre politique inédite et 2012 était un peu entre les deux, analyse un proche du Président. L'an prochain, on risque d'être dans quelque chose considéré comme une contrainte. Hollande peut passer pour le mec qui a fait globalement avancer les choses.» En rempart.