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Libération
Analyse

Parce que les sondages sont de plus en plus serrés

Publié le 07/08/2016 à 19h31

Depuis juin, tous les sondages font apparaître une réduction très significative de l’avance de Juppé sur Sarkozy. Même si elle n’est pas aussi forte ni aussi brutale que celle qui déboucha, début mars 1995, sur le croisement des courbes de Chirac et de Balladur, les deux mouvements sont incontestablement comparables. A douze mois du premier tour, Balladur était crédité, selon TNS Sofres, de 33 % d’intentions de vote, contre 14 % pour son rival. En février 1995 il n’avait plus que 4,5 points d’avance : 23,5 % contre 19 % à Chirac. De la même manière, l’écart Juppé-Sarkozy a considérablement diminué le mois dernier. Pour la première fois depuis près de deux ans, le sondage Odoxa pour BFM TV du 26 juin a enregistré une baisse significative du maire de Bordeaux (-5 points) et une remontée équivalente de Nicolas Sarkozy (+4 points). L’écart entre les deux hommes s’en trouve réduit d’autant. Avec 38 %, le maire de Bordeaux ne compte plus que 12 points d’avance sur l’ancien chef de l’État. Auprès des seuls sympathisants de la droite et du centre, le retournement est plus clair encore. Alors qu’il était distancé de 10 points en mai, Sarkozy passe devant Juppé avec 34 % contre 32 %.

Tassement. Confirmée par plusieurs enquêtes courant juillet, cette évolution, qui n'est pas une inversion du rapport de force, doit sans doute beaucoup aux actualités terroristes, mais aussi à la loi travail et au Brexit, qui ont permis à Sarkozy de surfer sur ses sujets de prédilection : autorité, frontière et identité. Avec un Sarkozy moins impopulaire, Juppé cesse d'être le seul à garantir la victoire de la droite en 2017.

Sans évoquer un lien de causalité direct, Bernard Sananès (Elabe) a récemment souligné dans les Echos que «le tassement sondagier d'Alain Juppé et le relatif retour de flamme de l'ancien président sont dus aux mêmes facteurs : […] à droite, c'est sa discrétion après l'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray qui a pénalisé [Juppé]». L'ancien Premier ministre se trouvait en Polynésie au moment des faits et ne s'est fait entendre dans les médias que le 29 juillet, trois jours après le drame, pour proposer «six leviers contre le terrorisme». Quand, dans le même temps, Sarkozy se montrait en première ligne.

En juillet, selon le baromètre du Journal du dimanche mesurant la visibilité médiatique des candidats à la primaire, le rapport entre Juppé et Sarkozy était de un à deux en faveur de l'ex-chef de l'Etat, lequel travaille son image en multipliant ces derniers jours les entretiens-confidences, sur RTL comme dans le Point. Sur le plan de l'opinion, si l'étoile de Juppé pâlit (un peu), Bernard Sananès souligne que c'est aussi parce que l'élu bordelais «a perdu à gauche pour ses déclarations suite à l'attentat de Nice». Dès le lendemain de la tuerie, Juppé avait ainsi assuré que «tous les moyens [n'avaient] pas été pris» pour lutter contre le terrorisme. Des propos surprenants chez lui, habituellement plus mesuré, aussitôt taclés par le Premier ministre, Manuel Valls, mais aussi par Nicolas Sarkozy, qui les a jugés «pas raisonnable[s]»… tout en qualifiant notre Constitution d'«arguties juridiques» faisant obstacle à la sécurité des Français.

Provocation. Président de l'institut Viavoice, François Miquet-Marty, pointe, lui, que le statut de favori peut mobiliser le camp adverse. Pour Juppé aujourd'hui comme pour Balladur hier, «la rumeur d'une victoire acquise» serait lourde de menaces. D'une certaine manière, la constante mise en avant d'un grand favori est une provocation pour les électeurs, qui peuvent le vivre «comme une captation démocratique». Un proche de Sarkozy insiste : «Une campagne, c'est justement fait pour faire bouger les lignes. Les favoris, ça ennuie les Français. Et aussi les médias : après avoir fait monter Juppé aux sommets, ils vont lui couper la tête.» Comme Chirac jadis, Sarkozy ne se prive pas d'appeler à la révolte contre un vainqueur déjà désigné par «le système». A ce propos, il ne se lasse pas de paraphraser le coup de gueule ironique de Philippe Séguin en janvier 1995 : «Arrêtez de croire qu'il va y avoir une élection présidentielle. Le vainqueur a déjà été désigné. Proclamé. Encensé. Circulez, y a rien à voir !»