Papy, 14 ans, fouille dans les grandes poches de son short en coton. Il sort son portable et fait défiler les photos du jour : un après-midi, avec ses «potes», à la nouvelle piscine de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le jeune homme, rieur, a la blague facile. Entre deux vannes, il raconte les «râteaux» au bord du bassin. La nuit approche. Papy grimpe chez son cousin Youssouf, au troisième étage d'une grande tour sans fin et sans couleur. Cette année, il passe l'été chez lui. «Ici, c'est aussi chez moi», explique sans rire ce gamin du Havre (Seine-Maritime). Un voyage d'une cité à l'autre pour les vacances, comme pour de nombreux enfants des quartiers périphériques.
Papy s'installe dans le salon, au milieu de ses cousins et cousines. La famille est nombreuse, mais le père, Sylla, employé à la mairie de Montreuil, ne fait pas de différence. «Le fils de mon frère, c'est aussi mon fils», dit-il sous le regard des enfants et de sa femme. «Papa Sylla», son surnom dans les hauteurs de la ville, détaille : «Le prix d'un billet pour le Mali est très élevé et un ouvrier comme moi ne peut pas se permettre de payer le voyage à toute sa famille. Il m'arrive d'envoyer un ou deux enfants par été. Pour mon frère, au Havre, c'est pareil. Donc il m'envoie chaque été un ou deux de ses enfants pour qu'ils passent les grandes vacances avec les miens : ça fait du bien à tout le monde.» Affalé sur le canapé, Papy regarde ses doigts de pieds. Timide. Silencieux. Il a laissé ses blagues en bas de la tour.
Le lendemain, il dribble sur un terrain de foot sans âme, et donne l'impression de vivre ici depuis ses premiers pas. «Mon cousin m'a ouvert la porte du quartier en douceur, dit-il. Au début, il y a toujours un mec qui fait le malin, mais après, tout s'arrange.» Youssouf, le cousin, confirme : «Il aime venir ici, et à son retour au Havre, avec ses potes, il joue le malin. Genre, j'ai passé l'été dans le 93 [Seine-Saint-Denis], dans un quartier trop chaud.»
«Radio libre»
Dans la cité, Papy n'est pas le seul à venir d'ailleurs. Modibo, 15 ans, est originaire de Goussainville (Val-d'Oise). Le petit costaud passe ses étés à Montreuil depuis ses 9 ans. «Je ne suis pas venu en 2014, j'étais au Mali, dit-il avec mélancolie. Mais attention, je rentre chez mes parents tous les quinze jours pour changer mon linge. J'arrive le matin et je bouge en fin d'après-midi pour retrouver Montreuil. Ici, je ne fais rien de plus qu'a Goussainville, mais je vois de nouvelles têtes, ça fait du bien.» Pour l'argent ? «C'est mon oncle qui prend tout en charge, il ne veut pas de la thune de mon père. Ça se passe comme ça chez nous. Quand je fais des sorties avec le service de jeunesse de Montreuil, c'est lui qui m'en donne. Mais je fais en sorte de ne pas abuser, donc je limite les sorties.»
La nuit tombe. Près du parc des Beaumonts, des jeunes se regroupent pour un barbecue. Parmi eux, Yssa, 28 ans, le grand frère de Papy, cause de tout et n'importe quoi. Son surnom : «radio libre». Plus jeune, lui aussi passait ses vacances ici, avant de se marier avec une fille du quartier. «C'était drôle, le premier jour, tu dois prouver que t'es un chaud et après tu rentres dans une grande famille : celle qui passe son été dans une cité avec du rap dans les oreilles. Certains pensent que c'est bidon. C'est vrai que les moyens sont limités, mais on se tape des délires de fous. C'est pour ça que je suis content que mon petit frère passe ses vacances ici. Ça te rend plus fort, car, parfois, tu as des coups de blues loin des parents.» Yssa garde «tout de même le meilleur» et nous parle des tournois de foot interquartiers, des journées à Euro Disney avec la municipalité et des virées à Paris avec ses grands cousins pour «manger une crêpe».
Merguez
Les souvenirs sont sans fin. «C'est lors d'un mini-séjour dans le Jura que je suis tombé sur Assa : aujourd'hui on a un enfant», dit-il avec un grand sourire. Kamel, son voisin, lui fait remarquer que les choses se sont inversées : «Avant tu quittais Le Havre pour passer tes vacances à Paris et aujourd'hui c'est le contraire : tu envoies ton fils chez ta mère en Normandie.» Les merguez enfument le parc. Yssa regarde sa montre. C'est l'heure de rentrer. «Demain, j'ai une grosse journée au volant de mon ambulance.» Et lâche : «Le truc le plus cool après un été à Montreuil, c'est la rentrée des classes. Tu fais le mec devant tes potes et lorsque la prof te demande où tu as passé tes vacances, tu réponds Paris. Ça fait classe. Mais elle ne sait pas que tu étais dans une cité, avec une bande de fous furieux.»