En date du 28 juillet, l’arrêté municipal pris par la ville de Cannes (Alpes-Maritimes) était passé inaperçu. Jeudi, la municipalité dirigée par le maire LR David Lisnard a indiqué avoir interdit le port sur ses plages du burkini, ce maillot islamique féminin qui couvre intégralement le corps mais pas le visage. Et dont le port est parfaitement légal.
«L'accès aux plages et à la baignade sont interdits […] à toute personne n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d'hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime», stipule l'arrêté. Avant de pointer plus spécifiquement sa cible en détaillant qu'«une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d'attaques terroristes, est de nature à créer des risques de troubles à l'ordre public (attroupements, échauffourées, etc.) qu'il est nécessaire de prévenir». Le même argument de sécurité que celui avancé il y a quelques jours par le maire des Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône) pour s'opposer à une «journée burkini» dans un parc aquatique, privatisé pour l'occasion par une association de femmes. Un événement qui n'aura finalement pas lieu et contre lequel David Lisnard était déjà monté au créneau.
Concrètement, l'arrêté estival interdit donc le port d'un vêtement pourtant légal dans l'espace public, à la différence du voile intégral de type burqa ou niqab. Dans une période où Nicolas Sarkozy n'hésite plus lui, à proposer d'interdire le voile, quel qu'il soit, à l'université comme sur le lieu de travail au-delà des seuls services publics. En s'en prenant au burkini avant même qu'un cas ne se pose, David Lisnard - comme les maires qui seraient tentés par la même initiative, et il y en aura [Nice Matin nous apprend que c'est le cas du député LR Lionel Lucca, maire de Villeneuve-Loubet] - ne répond pas une problématique concrète mais il envoie un message radical à ses administrés, à son électorat. Quitte à entretenir la confusion autour d'un vêtement dont le port pose de nombreuses questions qui ont trait au rapport au corps, au libre arbitre et même au communautarisme, mais qui n'ont rien à voir avec la laïcité, l'hygiène et la lutte contre le terroriste, comme évoqués pêle-mêle dans l'arrêté.
Espace public
Ce n’est pas une question de laïcité car la plage est un espace public où chaque femme est libre de se vêtir comme elle l’entend - seule la pratique du naturisme étant circonscrite à des lieux dédiés. Sur le plan du droit, l’interdiction, votée en 2010, du port du voile intégral dans l’espace public, plages comprises, l’avait d’ailleurs été au nom de la sécurité (la dissimulation du visage) et non de la condition de la femme ou de la laïcité.
Ce n’est pas une question d’hygiène - un argument insultant - ou alors que dire aux milliers de vacanciers, hommes et femmes, qui portent ces tee-shirts de bain, pour certains à manches longues, protégeant du soleil comme du froid de l’eau ? Quand ils ne sont pas simplement revêtus par pudeur - principal argument des femmes qui défendent le droit à porter un burkini.
Ce n'est pas une question de terrorisme, même si le directeur général des services de la ville de Cannes, Thierry Migoule, n'a pas hésité à déclarer que l'arrêté municipal a pour objet de proscrire «les tenues ostentatoires qui font référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui nous font la guerre». Sans même évoquer l'amalgame que revêtent de tels propos ou aborder les stratégies de dissimulation de leur radicalisation mises en place par les jihadistes, chacun se souvient des photos d'Amédy Coulibaly, le tueur de l'Hyper Cacher, en vacances avec sa petite amie portant un bikini comme il y en a des milliers sur les plages cannoises. Loin du burkini honni.
Sans qu'il faille s'en réjouir, comment ne pas rappeler aussi que l'été dernier, la ville de Cannes, (comme l'Etat français d'ailleurs) s'était montrée autrement plus accueillante avec le roi Salmane d'Arabie saoudite lors de sa fastueuse et polémique villégiature. Le souverain avait alors privatisé une plage publique à Vallauris Golfe-Juan où se trouve sa villa [et non à Cannes même comme indiqué précédemment, ndlr], alors que ses nombreux accompagnants étaient logés dans les palaces cannois. Confronté à un cas de burkini, ce qui n'a pas encore été le cas, rappelons-le, Thierry Migoule assure que «les personnes seront d'abord invitées à changer de tenue ou à quitter la plage sans être immédiatement verbalisées.» Faible avec les forts…