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Libération
Bilan d'étape

Emmanuelle Cosse : «Je n’ai jamais eu peur d’être une caution»

La ministre du Logement évoque sa nomination surprise en février et son départ d’Europe Ecologie-les Verts, ses rapports avec Cécile Duflot ainsi que son action au ministère.

Emmanuelle Cosse, le 13 juillet, au ministère du Logement à Paris. (Photo Laurent Troude pour «Libération»)
Publié le 12/08/2016 à 18h41

On avait voulu la revoir plus tôt. Dès son entrée surprise au gouvernement en février. On souhaitait comprendre pourquoi Emmanuelle Cosse, 41 ans, avait fait le choix de rejoindre l'équipe de Manuel Valls alors qu'elle dirigeait Europe Ecologie-les Verts (EE-LV). Ce qu'elle avait à répondre aux accusations de «trahison» de ses camarades qui l'ont exclue dans la foulée d'un parti qu'elle avait rejoint, aux régionales de 2010, à l'époque des beaux jours électoraux de l'écologie. La nouvelle ministre du Logement et de l'Habitat durable - c'est son titre officiel - avait alors refusé notre proposition de rencontre. Trop tôt. Cosse ne devait pas trop la ramener. «Travailler», disait son entourage. Attendre qu'il y ait des mesures «concrètes» à présenter aux visiteurs : comme, en ce mois d'août, où elle se retrouve sous le feu de l'extrême droite et de certains responsables de l'opposition parce que son ministère propose une aide financière aux associations en lien avec des particuliers accueillant des personnes réfugiées (lire ci-contre). «Ce que j'ai fait sur l'encadrement des loyers, la baisse des prix des logements pour donner plus de pouvoir d'achat aux citoyens, l'augmentation des moyens sur la rénovation énergétique… explique-t-elle ce vendredi à Liberation.fr. Ma participation au gouvernement, c'est un ensemble d'actions qui concrétisent mes engagements de toujours pour le logement social, la solidarité et l'écologie.»

On était allé la voir fin juin à son ministère. Pour comprendre pourquoi elle avait dit «oui» à François Hollande et Manuel Valls, alimentant par sa décision la scission des écologistes français. «Il reste un peu plus d'un an de mandat. Il faut aller chercher tous les sujets dont on a besoin», martelait-elle d'emblée. Rendez-vous était donné pour un petit-déjeuner dans une salle à manger exiguë et défraîchie de son ministère, rue Saint-Dominique à Paris. L'ambassade de Pologne voisine a bien plus de cachet que ses nouveaux bureaux. Cosse n'a pas eu droit à l'hôtel de Castries (ses lustres, ses dorures, sa fontaine et ses canards…) où se sont succédé les deux premières ministres du Logement du quinquennat Hollande, l'écologiste Cécile Duflot et la radicale de gauche Sylvia Pinel. Entré au gouvernement en même temps qu'elle, le patron du PRG, Jean-Michel Baylet (Aménagement du territoire, Ruralité et Collectivités locales), a gardé la main sur cet hôtel particulier, obligeant Cosse à aller s'installer ailleurs. «Tant mieux», glissait-on alors dans son entourage, où l'on voulait à tout prix éviter les comparaisons avec l'ère Duflot (2012-2014).

«Elle est allée à la soupe»

L'ombre de la vraie patronne d'EE-LV est pourtant omniprésente lorsqu'on échange avec la ministre. Cosse ne prononce jamais son nom. Mais quand on lui demande de justifier pourquoi elle a dit oui à Hollande et Valls, elle répond : «Je n'ai jamais eu la lecture "Ayrault c'est formidable, Valls c'est le diable".» Sous-entendu «contrairement à ce que pense Cécile». Ou encore : «Notre sort n'est pas lié uniquement à la méchanceté de Manuel Valls.» «Je suis en colère quand je lis "2017 c'est perdu, on prépare 2022". Si la droite revient, on en a au moins pour dix ans. Et on fait quoi pendant ce temps-là ? On crève ?»

Le jour de sa nomination, l'ex-présidente d'Act Up (1999-2001) a envoyé un mail à Duflot pour lui expliquer son choix. Lui dire que ce n'était pas «contre elle» mais qu'elle le faisait «pour l'écologie» et pour «sortir de la position dans laquelle» EE-LV s'était enfermé. Duflot n'a jamais répondu, et les deux femmes, depuis, ne se parlent plus. Certains disent que ce 11 février 2016, en coupant le cordon EE-LV, Cosse s'est «émancipée». D'autres qu'elle est «allée à la soupe», «a trahi» les militants du parti qu'elle dirigeait en rejoignant un Hollande qui a failli inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution et mis sur la table une réforme du code du travail qu'elle aurait combattue si elle était restée à EE-LV. Même si elle ne le dit pas directement, on comprend qu'elle s'est sentie, de son côté, trahie par les siens au moment de «l'affaire Denis Baupin», son mari, député de Paris et vice-président de l'Assemblée, accusé dans la presse de harcèlement et d'agressions sexuelles par plusieurs responsables des Verts, dont des intimes. Certains faits sont prescrits. D'autres peuvent toujours faire l'objet d'une condamnation si l'enquête en cours va au bout. Cosse a encaissé la «violence» de l'annonce. Dit «avoir toute confiance en Denis» et demande à ce que cette affaire ne soit «pas jugée par les médias» mais par «la justice». «Si les faits sont avérés, il faut qu'il soit puni», ajoutait-elle lors de cette rencontre. Mais si son mari est innocenté, poursuivait-elle, «la réponse ne sera jamais à la hauteur médiatique de ce qu'auront été les attaques».

«On va au contact !»

Dans une gauche où le fossé se creuse entre ses deux bords, elle a choisi le camp d'en face. Au grand bonheur de Jean-Christophe Cambadélis, le patron des socialistes, qui peut mettre une touche de vert dans sa Belle Alliance populaire (BAP), rassemblement du PS et de ses satellites, et prémices d'une nouvelle formation politique. C'est elle qu'il a placé à ses côtés, début juillet, et fait monter à la tribune lors de la première «assemblée nationale de la BAP». C'est elle, encore, que le PS vient chercher pour clôturer la conférence sur les réfugiés organisée par les partis sociaux-démocrates européens. «Je n'ai jamais pensé que je trahissais mon parti, insiste Cosse. J'ai été élue secrétaire nationale d'EE-LV sur une ligne très écolo, de participation au gouvernement, acceptant les rapports de forces.»

Mais ça, c'était au congrès EE-LV de Caen en novembre 2013. Quelques mois avant la sortie du gouvernement de Cécile Duflot et Pascal Canfin. Elle a dû ensuite gérer un parti sans majorité claire, avec une frange pro-retour au gouvernement, et qui finira par connaître des départs au compte-gouttes de responsables de premier plan comme de cadres intermédiaires et de militants vers la sphère d'influence socialiste. Avant de franchir le gué à son tour. «Terrifiée», justifie-t-elle, par «le poids» du FN, elle a dit oui aux propositions de Hollande et Valls de peur que la droite revienne aux affaires. Et peu importe, malgré l'accord de Paris sur le climat et le vote de la loi sur la transition énergétique, que ce gouvernement n'ait pas été aussi vert que promis. Peu importe aussi s'il y avait, au bilan des années Hollande-Valls, la «tache indélébile», comme l'a dénoncé Duflot, de la mort d'un activiste écolo, Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive sur le chantier du barrage de Sivens (Tarn) lors d'affrontements avec les gendarmes.

Sur la nappe blanche du salon où elle reçoit, le personnel du ministère avait disposé les cafés et quelques viennoiseries. Le ton était posé. Direct. Mais à la voir ranger frénétiquement les morceaux de sucre dans le sucrier, on avait constaté chez la ministre une certaine anxiété. «Je n'ai jamais eu peur d'être une caution : tu bosses et tu essaies de gagner des arbitrages, expliquait-elle. Et même si je suis une caution, si on arrive à donner une dimension écologique à cette fin de quinquennat, eh bien je serais contente de n'être qu'une caution.» Dans ce deal avec le couple exécutif, il y avait le référendum sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, «un dossier du passé qui empoisonne tout le monde». Et qui risque de tendre les relations au sein du gouvernement lorsqu'il s'agira d'envoyer les forces de l'ordre sur le site du futur aéroport pour déloger les opposants au projet. Il y a aussi la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), la loi biodiversité ou l'assurance de conserver les crédits logements votés.

Depuis juillet, l'ancienne vice-présidente chargée du logement à la région Ile-de-France brandit ainsi en trophée l'extension à la région parisienne de l'encadrement des loyers ou son action en faveur de l'hébergement des réfugiés. De quoi apporter au gouvernement une image plus «humaine» de sa politique d'immigration, là où, depuis le début de la crise, l'exécutif préférait le versant «fermeté». Cosse en convenait : «Je sais que je ne vais pas dans un gouvernement idéal faire la politique rêvée.» Elle tient à son étiquette de «réaliste» : «La politique, ce n'est pas rester bien au chaud dans une position où tu ne fais rien.» Elle a la même défense que Duflot and Co, en 2012, lorsqu'il s'agissait de légitimer, en début de quinquennat, le maintien des écolos au gouvernement malgré une politique sociale, économique, européenne - et écologique - loin des fondamentaux d'EE-LV : «Quand tu es dans un ministère, tu as toujours des moyens d'action. Tu peux faire des choses. Quand on veut construire un rapport de force, on va au contact ! On ne reste pas dehors !»

SMS injurieux

Cosse a supprimé la «dizaine» de SMS injurieux qu'elle a reçus après sa nomination surprise en même temps que Jean-Vincent Placé et Barbara Pompili. Eux avaient déjà quitté EE-LV. Elle était encore cheffe du parti. «Beaucoup de ceux qui m'ont insultée l'ont fait dans la presse, soulignait-elle. Quand j'ai réalisé j'avais dirigé un parti capable de réagir comme ça, ça m'a fait peur.» Elle est extrêmement sévère sur l'évolution d'EE-LV : «Les choses vont si mal dans ce parti qu'il est plus facile de se construire une histoire et de se dire "on nous trahit, on nous en veut" plutôt que de se demander pourquoi on finit avec si peu d'élus et autant de gens qui nous quittent.» Issue du mouvement associatif, passée par les Verts, Cosse a fait le choix de changer de famille. Même si ça lui en coûte. Sur le plan politique. Et personnel.