Ils sont près de 5 000 scouts, âgés de 17 à 22 ans, venus d’un peu partout en Europe, à se retrouver dans les bois de Jambville, dans les Yvelines, depuis jeudi et jusqu’à dimanche, à l’occasion du Roverway, dont c’est la toute première édition en France. Un rassemblement organisé par les régions européennes du scoutisme du guidisme mais aussi des associations, laïques ou confessionnelles. On a passé une journée à la rencontre de jeunes, se revendiquant avant tout laïcs, venus pour s’amuser, et pas forcément pour mettre la religion au premier plan.
Ainsi Jonathan, le premier scout rencontré, après s'être montré insistant sur la dimension religieuse du scoutisme tout au long du trajet de la gare jusqu'au camp des «rovers» (les 16/17 ans) et «rangers» (les 18/22 ans), a fini par regretter qu'on réduise le scoutisme à un trip de catho. «Les gens croient qu'on est soit dans les bois soit à la messe» - en attendant on était quand même dans les bois… On nous dit qu'il y a des jeunes de toutes religions, même des bouddhistes et des athées, que la philosophie du scoutisme repose sur trois piliers : «progresser soi-même, faire progresser les autres et enfin la quête de la spiritualité, en communion avec la nature». Essayer de se débrouiller avec rien et d'être heureux avec peu de moyens et simplement, résume François Mandil, délégué national des Scouts et Guides de France, qui regrette que le scoutisme souffre de sa réputation de mouvement «ringard et catho réactionnaire» dû à son passé. «Aujourd'hui nous sommes près de 50 millions de scoots dans le monde (...) Par ailleurs, la majorité des scouts sont musulmans, ils sont 7 millions juste en Indonésie» précise-t-il.
Première halte, la chapelle. Voilà qui ne détonne pas trop dans le décor. Plus loin, on croise de jeunes islandais et néerlandais dont Owen, Jess et Martjin. Ils balayent d’un revers de la main la question de la religion mais nous disent à quel point ils sont excités par les activités en cours. Et d’ajouter qu’ils sont là tout simplement pour s’amuser et rencontrer d’autres nationalités.
«Nous sommes tous pareil ici»
disent en chœur Jess et Owen qui se sont liés d’amitié au
[ Roverway ]
l’an dernier.
On se quitte alors qu'un autre groupe se met à danser «le regadinho», une danse portugaise. L'idée qu'ils soient sous des substances plus ou moins licites nous traverse le (mauvais) esprit mais visiblement non. D'ailleurs aucun alcool n'est officiellement toléré dans le camp.
Grand moment: on danse le "Regadinho", une danse portugaise... #EURO2016 #scoutisme2016 pic.twitter.com/iI1dZjVAou
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Une espèce d’insouciance bon enfant règne un peu partout dans ces bois. Même quand il s’agit d’ateliers moins funs et plus sérieux comme celui de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), le ton est plutôt léger. En témoigne la petite mise en scène ci-dessous. A l’effigie (ou presque) de François Hollande et d’Angela Merkel.
Fabien de cet office explique : «C'est pour symboliser les échanges interculturels entre les deux pays. Le but est de mieux comprendre l'autre». Exemple ? «Le petit déj : en France c'est sucré. En Allemagne, c'est salé à base de fromage et de saucisses patates… On fait donc jouer les scouts à des changements de rôle». Jusque-là tout va bien mis à part la queue pour poser dans la peau de Hollande et de Merkel…
Un peu porté par cette drôle d'atmosphère, on continue à se promener -dans les bois- jusqu'à croiser des sortes de «bonshommes» fabriqués avec des sacs poubelles, de la paille et de la terre… Ousmane, un des encadrants du jeu, nous explique que ces quatres «créations» dispersées sont en fait les leaders de leur groupe respectif. «Chacun pense et visualise le leader en lui» : un point de départ pour réfléchir sur soi, nous dit-il.
Soit, on se cache pour fumer une cigarette, pas sûr que ce soit très bien vu. Derrière un buisson, un peu isolé, on devine au loin des silhouettes, les yeux bandés, jouer au jeu de l’aveugle.
Regardez sur #Periscope : Dans les bois #RW2016 https://t.co/5qxM2KTA6Q
— Dounia Hadni دنيا (@douniahadni) August 11, 2016
Tout a l'air d'un camp de vacances, des jeux au «Moulin… Orange», la discothèque tenue par les Hollandais. D'où la couleur orange d'ailleurs. Et «le moulin» ? Une référence au «Moulin Rouge»… Car oui, là les endroits sont nommés «Arc de Triomphe», «la Tour Eiffel» (où se déroulera en fin de journée «la prière multiconfessionnelle pour la paix»), «le Champ de mars»…
On s'est faufile dans les coulisses du "Moulin... Orange" la discotheque du scouting #RW2016 pic.twitter.com/hirXl5ryRj
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«Le voile, c’est vraiment dans la religion ?»
Autre ambiance en revanche du côté de «l'esplanade de l'unité, l'espace foi et spiritualité du camp». On se dirige directement vers le stand «Islam» où l'aumônier Yannis était en train de disposer des corans sur la table. Il nous explique que cet espace a été pensé en cercle pour symboliser l'unité et l'égalité. «Ça fait référence au mythe de l'androgyne dans Le Banquet de Platon», explique-t-il.
Aux alentours les stands bouddhiste, protestant et judaïque, à ce moment là fermés. Au centre, c'est «l'oasis» ou le mur d'expression sur lequel on peut lire cette expression de Paulo Coelho : «C'est une chose de penser qu'on est sur le bon chemin, c'est une autre de penser que ce chemin est le seul.» Tous les scouts peuvent y écrire des petits mots.
Enfin, deux jeunes arrivent, Isaac et Kettoupa (nom de totem). Ils s'installent sur l'herbe et papotent avec l'aumônier d'abord de leur dernier parcours de scout sur les routes de France. Ensuite Kettoupa demande s'ils peuvent assister à la prière de 18 heures. Et Isaac d'enchaîner sur le voile : «Le voile c'est vraiment dans la religion ?» demande-t-il. Réponse d'un autre aumônier, Driss : «Non pas du tout. Le voile ce n'est pas un habit musulman, c'est un habit traditionnel. La preuve, c'est qu'on ne le porte pas pareil qu'on soit au Maroc ou en Arabie Saoudite». Driss montre ensuite des photos tirées d'une exposition qui a eu lieu à l'Institut du Monde Arabe «Voilement, dévoilement», sur l'histoire de l'habit de la femme depuis l'Antiquité.
On demande à Isaac pourquoi il s'intéresse à l'islam en tant que laïc. Il répond que toute sa famille est musulmane et que c'est important pour lui de comprendre cette religion qui, sans être la sienne, lui est familière. Un autre groupe d'adolescentes toulousaines débarque, dont Silya, 16 ans. Elle fait du scoutisme depuis ses 7 ans, un rendez-vous qu'elle affectionne avec ses copines. Elle est musulmane mais dit être passée «par plusieurs phases depuis Mohammed Merah [qui avait tué sept personnes dont trois enfants à Toulouse en 2012 ndlr]».«D'abord, je faisais tout pour pas qu'on me prenne pour une musulmane. Ensuite, je pétais un câble dès que quelqu'un faisait le moindre amalgame. Enfin, et j'en suis là maintenant, je m'en fous», dit-elle avec un large sourire.
«Ici les gens se parlent naturellement»
L'heure de la prière approchant, on se dirige vers la fameuse Tour Eiffel. Une centaine de personnes se réunissent petit à petit spontanément et s'assoient sur l'herbe. Les scouts musulmans prennent la parole en premier en symbole de solidarité interreligieuse après l'attentat de Saint-Etienne du Rouvray… Marie, rencontrée au stand catholique, approuve tout en assurant qu'aux scouts, elle ne ressent jamais d'amalgames ou de tensions d'ordre communautaires. «Ici les gens se parlent naturellement», ajoute-t-elle. Se poursuivent ensuite un chant catholique, protestant et un autre juif. Le tout aura duré une trentaine de minute avant que tous lèvent le camp et rejoignent leur quartier respectif.
"Prière pour la paix" des scouts musulmans devant la Tour Eiffel en arabe, en français et en anglais #RW2016 pic.twitter.com/r0o6U38Emw
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"Prière pour la paix" des catholiques et protestants #RW2016 pic.twitter.com/QJjD6m3SaG
— Dounia Hadni دنيا (@douniahadni) August 11, 2016
On croit être au bout de nos surprises quand on aperçoit à 100 mètres un drapeau arc-en-ciel… C'est le «Rainbow Café» qui n'est autre que le café LGBT et où les jeunes ont le droit de se réunir jusqu'à 3 heures du matin.
Après une courte escale, on apprend, avant de partir, qu’un cours d’éducation sexuelle aura lieu à 22 heures.