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Libération
Récit

A Sisco, esprits échauffés et récits emmêlés

Une violente rixe a fait cinq blessés samedi soir dans ce village corse.
Trois véhicules ont été incendiés samedi à Sisco lors d'une rixe opposant des villageois à des familles d'origine maghrébine. (Photo Pascal Pochard. AFP)
publié le 15 août 2016 à 20h31

Au départ, une bagarre. Puis une deuxième. Puis une vengeance. Le tout, sur fond de climat politique désastreux, de menace terroriste et de fantasmes. Ou comment, en quelques heures, un affrontement - certes violent, avec cinq blessés dont quatre ont dû être hospitalisés - entre des familles du village de Sisco (Haute-Corse) et d’autres d’origine maghrébine est devenu un sujet majeur en France.

Les faits, d’abord : samedi après-midi, dans la crique de Scalu Vechju, à la sortie de Sisco, trois familles d’origine maghrébine pique-niquent. Certaines épouses sont semble-t-il voilées, d’autres non, et plusieurs enfants en bas âge sont présents. Selon des témoins, les choses s’enveniment lorsqu’un touriste est accusé par les pères de famille de photographier leurs femmes. L’un de ces hommes, furieux, se serait alors emparé de galets, qu’il aurait lancés en direction du vacancier. Problème, ce dernier n’a pas encore été entendu par les gendarmes. Difficile, donc, d’en savoir plus.

La suite, également rapportée par des témoins, se serait déroulée ainsi : un adolescent de Sisco immortalise avec son smartphone la bagarre entre le père et le vacancier. A son tour, il est pris à partie et reçoit un coup au visage. Lui et ses copains appellent alors des adultes du village à la rescousse, qui affluent par dizaines. Insultes, mêlées, jets de pierres et de bouteilles. Il est encore bien difficile de savoir qui a fait quoi.

Flèche. Toujours est-il que deux des hommes d'origine maghrébine arborent des ecchymoses qui résultent de multiples coups. Et qu'un habitant de Sisco a été blessé à la hanche par la flèche d'un harpon. Enfin, les trois voitures des familles d'origine maghrébine, vivant dans le quartier de Lupino, à Bastia, ont été incendiées. Une scène qui traduit l'ambiance électrique qui plane depuis quelques mois sur l'île. Si la section de recherche de la gendarmerie n'a, pour l'heure, procédé à aucune arrestation, des dizaines de témoins - dont les familles concernées - ont déjà été auditionnés. Et livrent des versions aux antipodes les unes des autres…

Une chose est sûre, les faits ne sont pas aussi spectaculaires qu'ils y paraissent. Dans les premières heures, des rumeurs circulaient : «Un villageois harponné par des Maghrébins à Sisco !» pouvait-on lire sur Twitter… Des articles ont également fait courir l'idée d'un règlement de compte «avec couteaux et machettes.» Si la flèche d'un harpon a bel et bien été utilisée par l'un des pères d'origine maghrébine, les premières constatations semblaient démentir, lundi soir, l'hypothèse d'un tir. Des bilans médicaux sont néanmoins attendus pour le confirmer.

Autre «information» abondamment relayée sur Facebook : «Des hommes défendant leurs femmes en burqa tabassent des enfants à Sisco.» Là encore, la réalité est un peu différente. Certaines femmes d'origine maghrébine se sont baignées habillées, mais portaient un simple foulard. Les autres avaient les épaules dénudées comme on peut le voir sur les images de télévision, et ne portaient pas de foulard.

«Apaisement». Ce qui n'a pas empêché le maire PS de Sisco, Ange-Pierre Vivoni, de prendre, lundi, un arrêté interdisant le port de burkini. Pour satisfaire ses administrés ? «Les voiles n'existaient pas en Corse il y a encore cinq ans, témoigne une habitante de l'île. Les Corses ont du mal à s'y faire. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont ouvertement racistes. L'apaisement devient vital même si, objectivement, rien ne paraît pouvoir stopper l'engrenage.»