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Mode musulmane

Burkini : une tenue Coran-compatible

Burkini, une polémique françaisedossier
Ce maillot à la fois couvrant et pratique s’inscrit dans l’expansion du marché de la mode musulmane.
Un burkini commercialisé par vetislam.com. (Photo DR)
publié le 16 août 2016 à 19h51

Le burkini ou maillot de bain islamique se compose d'une tunique à manches longues ou courtes, portée sur un pantalon qui descend jusqu'aux pieds ou un pantacourt, auxquels on adjoint un bonnet et / ou un hijab (voile qui laisse le visage apparent). Bleu canard, vert d'eau, mauve, corail, fuschia, gris, noir… Sur vestislam.com, il est facile de trouver burkini à son goût. Il faut compter entre 60 et 129 euros selon les matières, soit grosso modo la fourchette de prix des maillots de bain classiques. Les moins chers, en polyester, «ont tendance à se gonfler d'air, ce qui peut les rendre moins confortables que les maillots en élasthanne, avertit le site, installé à Montpellier. Mais le point le plus gênant est qu'ils sont exclus généralement des piscines car la matière ne correspond pas aux tissus maillot de bain (mélange de polyester et d'élasthanne)». Ceux en microfibre ? «Le taux de pénétration de l'eau dans le tissu est correct, sans plus. Leur séchage est d'environ vingt minutes au soleil.» Le haut de gamme, c'est le burkini en polyamide et élasthanne. Atouts : «Autorisés en piscine, faible absorption d'eau, séchage rapide (compter sept minutes au soleil).»

Compromis

C'est en 2003 que la créatrice libano-australienne Aheda Zanetti a eu l'idée (et le nom) du burkini (mélange de «burqa» et «bikini»). Il se vend désormais comme des petits pains à travers le monde. En France, même s'il reste peu répandu sur les plages, quasiment tous les sites de vente de vêtements dits «pudiques» ou «modestes» en proposent, comme nabira.fr ou zeynara.fr, sans compter l'offre (bien plus importante) hors de l'Hexagone. Le point de départ de cette affaire lucrative est spirituel : le burkini, selon ses défenseurs, offre un compromis aux musulmanes pratiquantes, qui peuvent alors combiner une vie sociale classique et leur interprétation du Coran, qui recommande aux croyantes «de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ; et qu'elles ne montrent leurs atours qu'à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou aux femmes musulmanes». Le burkini est en outre plus pratique qu'une tenue intégrale classique (que certaines portent parfois aussi pour la baignade, notamment en France), moins encombrant, plus léger. Et esthétiquement, il se rapproche des combinaisons de surfeurs ou de plongeurs. Plus aisément soluble dans l'espace public, en somme.

Au-delà du burkini, c’est l’ensemble du vestiaire de la musulmane pratiquante qui a rejoint ces dernières années en France la rubrique «sujets sensibles». Pour preuve, les protestations qu’a suscité, début janvier, le lancement d’une ligne de hijabs et abayas par Dolce & Gabbana. Or , l’enseigne italienne n’a fait que surfer sur la vague opportuniste déjà empruntée par moult marques (Uniqlo et Mango en 2015, DKNY dès 2014…) alléchées par un marché en plein boom, les musulmans ayant dépensé plus de 234 milliards d’euros en habillement en 2013, selon l’agence Reuters.

Déjà-vu

Mais ce pragmatisme sans foi ni émoi en révulse plus d'un. A commencer par Laurence Rossignol, ministre en charge notamment des Droits des femmes, qui tonnait en mars, juste après la mise sur le marché de deux modèles de burkini par Marks & Spencer : «C'est irresponsable de la part de ces marques.» Elle est logiquement remontée à la charge, lundi. Tout en refusant de commenter les arrêtés municipaux qui interdisent le burkini, elle a étrillé ce qui n'est, à ses yeux, «pas juste une nouvelle gamme de maillots de bain», mais «un projet de société». Et d'inscrire son rejet dans une perspective féministe et historique : «Le burkini a un sens. Ce sens, c'est de dissimuler, cacher le corps des femmes pour cacher les femmes, et la place que ça accorde aux femmes est une place que je combats, que d'autres avant moi ont combattue, et il a quelque chose de profondément archaïque.» La ministre a conclu par un apaisant «je ne veux pas que notre société s'enflamme sur ces sujets parce que les musulmans sont pris en otage». Il demeure qu'avec le burkini, une sensation de déjà-vu ressurgit : il y a poussée de crispation, dans le droit fil des épisodes voile et burqa. Avec le risque, pour une France à la veille de la présidentielle, de nager en eaux autant agitées que troubles.