Siham sort son burkini d'un sac pour l'étendre sur les galets chauds de la plage de Carras, à l'extrême ouest de la promenade des Anglais, à Nice. «J'espère que je pourrai aller me baigner une dernière fois avant la fin des vacances», ose cette mère de famille venue d'Algérie pour quinze jours de voyage entre Montpellier et Nice. Avant d'enfiler ces quatre pièces de tissu désormais interdites sur les plages niçoises, Siham, prudente, envoie son mari, Fethi, à la chasse aux renseignements. «Est-ce que mon épouse peut se baigner avec son maillot complet et son foulard ?» lance-t-il aux deux maîtres-nageurs qui se penchent par-dessus la rambarde du poste de secours pour l'assommer de questions : «C'est pas un deux-pièces ? Avec un foulard ? C'est un burkini en fait ? enchaînent-ils. C'est non. Sinon on sera obligés de prévenir notre responsable. C'est la consigne.» Le burkini retournera dans le sac, Siham n'ira pas dans l'eau turquoise. «Je voulais nager avec mes deux filles, c'est raté, dit-elle. Je profiterai en Algérie.»
Tente. Il y a une semaine, le maire de Nice, Philippe Pradal, comme la quasi-totalité des édiles du littoral des Alpes-Maritimes, a signé un arrêté municipal interdisant l'accès aux plages publiques et à la baignade «à toute personne n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d'hygiène et de sécurité». Chargé, entre autres, de faire respecter cet arrêté anti-burkini, un «dispositif estival» a été mis en place à Nice jusqu'au 15 septembre. Au total, une vingtaine de policiers municipaux sont mobilisés.
En une semaine, ils ont verbalisé au moins 24 personnes, quitte à interdire de plage une femme voilée. Une scène a particulièrement choqué. Sur une série de clichés pris mardi par un photographe indépendant, on voit une équipe d'agents adresser une contravention à une femme allongée sur une plage de la promenade des Anglais et portant un simple foulard, non un burkini. A Cannes, première ville à s'être lancée dans cette campagne contre la tenue de bain islamique, une femme prénommée Siam, venue en touriste à la plage coiffée de son voile avec ses deux enfants, a été contrôlée et verbalisée le 16 août, sous l'œil de badauds lui criant : «Rentre chez toi !» Selon le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), il ne s'agit pas d'un cas isolé. L'association indique avoir constitué 16 dossiers du même type, concernant des femmes voilées verbalisées et ne portant pas de «vrai» burkini.
Adossée aux barrières d'une plage privée niçoise, Khaja a planté les sardines de sa tente de plage. Cette aide ménagère de 47 ans passe son mercredi sous la toile bleue pour se mettre à l'ombre, surveiller ses enfants, mais aussi «pour ne pas provoquer avec le voile» : «Je ne veux pas faire d'histoires, explique-t-elle. J'aurais honte par rapport aux gens si les policiers me criaient : "Sortez de la plage !"» Tant que les arrêtés seront en place, Khaja affirme qu'elle ne se mettra pas à l'eau. «Pour être tranquille», sa famille a passé une semaine à San Remo, sur la côte italienne, à plus d'une heure de voiture de Nice. «Là-bas, pas d'arrêté, donc pas de problème, insiste-t-elle. Je portais mon burkini sereinement.»
«Regard». S'exiler pour nager, c'est aussi le choix de la famille de Leila et Marwann (1). Depuis plusieurs mois, le couple avait prévu d'emmener ses trois enfants au bord de la Méditerranée, entre Antibes et Nice. Mais la semaine dernière, changement de programme. C'est la commune italienne de Vallecrosia qui accueillera finalement les plongeons et les montagnes de galets des enfants : «Vu les tensions, on a roulé quelques kilomètres de plus pour l'Italie. Ici, on est tranquilles, on ne se fait pas embêter», tente d'expliquer Marwann, agacé d'être une nouvelle fois au centre de l'attention sur cette paisible plage à une dizaine de kilomètres de la frontière. «Ce n'est pas la police que l'on craint, mais le regard des gens, enchaîne Leila. Dès qu'on arrive sur la plage, ils se retournent, ils nous regardent.» Le couple songe «même à quitter la France» : «Ce type d'arrêté est tourné contre les Français musulmans. On ne se sent plus à l'aise chez nous.» «Chez eux», Imène, Clément, son mari, sa sœur Heger et son beau-frère Fabrice comptent y rester. Pour cette famille de confession musulmane, qui habite à deux pas de la promenade des Anglais, pas question d'aller piquer un plongeon sur une autre plage. «Ce n'est pas de la provocation. Le but n'est pas de se mettre hors-la-loi. Mais on a tous le droit d'aller à la plage, chacun avec sa pudeur», affirme Imène, qui n'a pas ôté son voile. «Bientôt, ce sera écrit : "Interdit aux chiens et aux musulmans", s'insurge Fabrice. Aujourd'hui, c'est la plage. Demain, ça sera quoi ?» Un bateau de la police municipale passe au large. La famille n'est pas verbalisée.
(1) Les prénoms ont été modifiés.