Elle est peut-être la seule candidate à la présidentielle à être inscrite sur un site de covoiturage et à proposer des places dans sa voiture pour se rendre de son lieu de vacances, les Landes, à celui des journées d'été de son parti, qui débutent à Lorient (Morbihan) ce jeudi. Cécile Duflot, 41 ans, se présente à la primaire organisée cet automne par Europe Ecologie-les Verts. Pour elle, la présidentielle est une «étape importante pour créer un nouveau grand mouvement majoritaire».
Il y a cinq ans, vous expliquiez ne «pas avoir les épaules» pour aller à la présidentielle. Qu’est-ce qui a changé ?
L’expérience, l’âge et le sentiment d’urgence. A l’époque, j’avais des réticences. Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir les capacités. J’ai appris. J’ai notamment vu le pouvoir de l’intérieur. J’ai constaté qu’avec de la volonté politique on pouvait changer les choses - je l’ai fait sur l’encadrement des loyers. J’ai vu aussi - après mon départ, lorsque Manuel Valls a été nommé Premier ministre - qu’on pouvait tout défaire. Le temps de l’écologie est venu. Or, je suis une des personnalités qui la représentent en France. Mon engagement était donc impératif.
Pourquoi un sympathisant écolo voterait Duflot plutôt qu’un autre candidat ?
Parce que je propose un cap politique clair : la «République écologique», qui demande l’écologisation de l’ensemble des politiques publiques. Parce que pour y parvenir, je propose un chemin pour agir sans attendre que les écologistes soient majoritaires. Enfin, parce que j’ai fait la démonstration de la cohérence entre les discours et les actes : j’ai résisté à toutes les intimidations sans cesser d’être une femme de dialogue. Mon écologie est une écologie déterminée.
Une défaite à la primaire serait une catastrophe pour vous, personnellement ?
Non. Quand on est candidat, on est prêt à perdre. La politique n’est ni une carrière ni une assurance-vie. Je ferai campagne avec sincérité, et je suis certaine de pouvoir faire honneur à l’écologie si je suis choisie.
La difficulté des écologistes à la présidentielle est de réussir à faire une campagne «positive»…
Les temps changent. Partout en Europe, la social-démocratie est épuisée. Il faut une force nouvelle pour affronter une situation historique nouvelle. Les Autrichiens ont élu un président écologiste [l'élection a été invalidée en raison d'irrégularités dans le dépouillement, un nouveau scrutin doit avoir lieu à l'automne, ndlr]. A l'échelle du continent, l'enjeu se jouera entre les populistes-nationalistes et le projet de libération et de bien vivre des écologistes. La présidentielle et les législatives à venir peuvent être une étape importante pour créer un nouveau grand mouvement majoritaire. Les lignes doivent bouger.
Le 21 avril 2002, Noël Mamère faisait 5,25 % : le meilleur score d’un candidat écolo dans une présidentielle coïncide avec l’élimination de la gauche au premier tour. Votre candidature ne condamne-t-elle pas la gauche à l’élimination ?
Le problème n’est pas l’éparpillement des voix à gauche, mais le fait que les électeurs de François Hollande de 2012 ne vont plus voter. Ceux qui ont élu ce président sont déçus, voire dégoûtés. Le Front national en a profité. Nous devons apporter des solutions différentes. C’est une question de fond : qu’avons-nous à proposer pour faire face aux bouleversements du monde ?
Pourquoi avoir refusé une grande primaire de toute la gauche ?
Personne n’en a voulu. Elle aurait pu fonctionner si la priorité était la construction d’un projet commun. Mais ça n’a jamais été le cas… Je regrette qu’avec ceux et celles qui sont conscients des erreurs de la politique menée, nous n’ayons pas pu trouver un débouché commun. Mais je dis aux électeurs déçus de 2012 qu’il faut sortir de la résignation. Leur vote est une arme pour le changement
Quel sera l’axe majeur de campagne ?
Je veux proposer aux Françaises et aux Français de reprendre leur vie en main en démocratisant radicalement le pays, ce que j’appelle la démocratie augmentée, et en prenant le virage de l’écologie. Ce n’est pas à des élites dépassées de nous imposer le futur, mais à nous d’embrasser l’avenir. Je vais donc me battre pour inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans la Constitution. C’est un pas majeur vers la République écologique. Aujourd’hui, de nombreuses mesures écologiques - comme la taxe carbone - sont retoquées par le Conseil constitutionnel. Ce serait impossible demain.
Durant ce quinquennat, il y a eu une grande loi de transition énergétique, une autre sur la biodiversité, un accord historique sur le climat… Tout est à jeter ?
Non. Mais très peu a été effectivement fait. J’ai voté la loi de transition énergétique parce que nous y faisions un premier pas vers la sortie du nucléaire. Malheureusement, aucune décision concrète n’a été prise depuis. Au contraire, la seule grande annonce concerne la poursuite du projet de Hinkley Point qui risque de ruiner EDF. La crise écologique est tellement forte qu’on ne peut pas en rester à de simples discours ou à des lois de papier.
Nos manières de produire, de consommer, de vivre doivent évoluer rapidement. Les solutions existent par centaines. Ne manque que le dessein partagé de transformer nos sociétés. Je fais confiance à la jeunesse pour être en première ligne dans cette mobilisation. C’est à elle que je m’adresse.
Que pensez-vous de l’idée d’un retour du service militaire, qui refait surface ?
Le service militaire, faut-il le rappeler, c’était les plus favorisés planqués dans les bureaux ou dans l’administration à Paris et les autres qui passaient des mois à ne pas faire grand-chose ! Demandez à tous ces hommes politiques qui proposent de rétablir le service militaire où ils ont fait le leur… S’ils l’ont fait ! Cette espèce de mythe du retour à un temps ancien qui réglerait prétendument les questions d’intégration est la démonstration d’une absence totale de vision. Je défends l’idée d’un service civique ouvert à toutes les personnes qui en font la demande. L’intérêt général n’est pas d’aller dans une caserne et d’apprendre à tirer au fusil, mais de se confronter à la difficulté sociale de certains, aux conséquences des accidents de la route, de faire du soutien scolaire…
Un engagement obligatoire ?
Il faudrait qu’il soit tellement valorisé qu’il en devienne naturel. Redonnons du sens au pacte civique.
Dans un pays qui se replie, c’est compliqué de se faire entendre…
C’est vrai. Les tensions progressent dans notre pays. Le risque, c’est la guerre de tous contre chacun. C’est une réalité. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut baisser les bras. Je suis prête à expliquer aux Français que dans les quartiers considérés comme des quartiers de relégation, il y a l’avenir de notre pays. Ils l’ont très bien compris en applaudissant les champions de boxe aux JO ! Ils viennent de Champigny, Créteil, Aubervilliers… C’est ça aussi, la France ! Elle est diverse et forte de cette diversité. C’est son histoire. Beaucoup oublient comment la France s’est construite. Ils ont la trouille.
La trouille de l’islam ?
La trouille d’une France perdue dans les changements du monde et qui pense son identité menacée. Je veux dans cette campagne démontrer le contraire. La France peut rester grande sans se replier. Je suis née française et mes ancêtres sont nés dans l’Hexagone aussi loin que l’on retrouve des extraits de naissance… J’ai grandi en banlieue. Mes camarades, de toutes origines, étaient aussi français que moi ! Nous sommes allés à l’école, au collège ensemble, et je ne serais pas devenue ce que je suis sans cette enfance-là. Quand on se replie, quand on craint que le voisin soit un ennemi, on ne construit rien. On offre une image triste à l’étranger, qui n’a rien à voir avec à notre histoire.
Comme avec cette polémique du burkini ?
Oui. Les maires qui ont pris ces arrêtés veulent surtout exister. Il n’y a jamais eu une femme en burkini sur leurs plages et ils montent la question en épingle. Sur le fond, je suis évidemment heurtée qu’on veuille contrôler le corps des femmes. Je n’accepte pour les femmes aucun oukase, d’où qu’il vienne. Ma France est féministe, et je ne veux pas qu’on dise à mes enfants qu’une femme bien, c’est une fille qui se cache les cheveux. Mais je ne veux pas non plus qu’on leur explique que c’est un danger pour notre pays. Et lorsque j’entends Jean-François Copé expliquer qu’on va interdire l’accès des hôpitaux aux femmes voilées, j’ai peur pour notre vivre ensemble. L’islam est devenu le défouloir de nos peurs. Je m’y refuse. Je suis profondément en désaccord avec une femme qui considère que se cacher est une liberté. Mais nous avons un devoir de pédagogie. Pas de stigmatisation.
Vous êtes toujours très bas dans les sondages. Comment l’expliquez-vous ?
Rien n’est encore décanté. J’ai vu beaucoup de sondages s’inverser ou être utilisés comme moyen de pression politique… Ça n’entame en rien ma détermination. Je vise le meilleur score possible pour les écologistes. Mon objectif est qu’un jour il y ait un président ou une présidente écologiste.
Pas forcément en 2017 ?
Il faut savoir donner du temps au temps. Nous vivons un changement de monde. Des basculements. Il peut y avoir des accélérations de l’histoire. La politique est affaire de conviction dans la durée : en 2006, je campais avec les Enfants de Don Quichotte contre le mal-logement. Six ans plus tard, en tant que ministre, j’ai mis en place l’encadrement des loyers. Chaque pas est une bataille. Mais je ne reculerai pas.