Menu
Libération
Témoignages

Menace d'attentats : «Dans mon collège, chacun sait exactement ce qu'il doit faire»

Le gouvernement communique aujourd'hui sur les mesures de sécurité prises dans les écoles, collèges et lycées. Les chefs d'établissement y travaillent activement depuis les attentats de novembre.

Les ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, et de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, à Paris le 24 août 2016 (Photo PATRICK KOVARIK. AFP)
Publié le 24/08/2016 à 19h07

En cette veille de rentrée des classes, les ministres de l'Intérieur et de l'Education communiquent à tue-tête sur les mesures prises pour sécuriser au mieux les établissements scolaires et se préparer à une attaque terroriste. «La menace est élevée, le danger est bien réel», a prévenu le ministre Bernard Cazeneuve devant la presse, mercredi rue de Grenelle. Sur le terrain, les chefs d'établissement se préparent activement depuis les attentats du 13 Novembre. Ils sont en effet en première ligne, chargés de la sécurité des biens et des personnes dans l'enceinte de leur établissement.

«Pour l’alarme, on a bricolé : ce sera la sonnerie de la récréation en continu»

Une directrice d’une école maternelle et primaire de Marseille

«Après les attentats de novembre, quand le ministère nous a demandé de nous préparer en cas d'intrusion armée, mon équipe était très divisée. Deux positions, que je trouve défendables, s'affrontaient. Une partie des enseignants, inquiets, voulaient absolument s'entraîner pour avoir les bons réflexes. Les autres jugeaient au contraire que c'était bien trop traumatisant pour les élèves, surtout pour les tout-petits de maternelle. La consigne d'entraînement étant officielle, nous l'avons fait. On a établi un plan (PPMS) comme on a pu, avec notre bon sens.

«Les documents officiels donnent des conseils mais ce n'est pas évident. Par exemple, il est écrit qu'en cas d'intrusion, les classes qui le peuvent doivent fuir et les autres doivent s'enfermer à clé et barricader la porte. Moi je dois courir déclencher l'alarme pour prévenir les collègues avant d'appeler les secours. Pour l'alarme, on a bricolé. Il nous fallait trouver un système d'alerte différent de l'alarme incendie. On a décidé de mettre la sonnerie de récréation en mode manuel, et on a convenu qu'en cas de danger, je la maintiendrai appuyée de manière continue pour prévenir. Les collègues se réfugieront ensuite avec les élèves dans la cantine, le seul endroit où on a un accès à l'eau et à un téléphone. Car les consignes ministérielles sont claires : nous ne pouvons pas communiquer par portable, il ne faut pas surcharger les lignes. L'exercice de simulation permet de penser à plein de choses, de trucs qui ne vont pas de soi. Mais bon, ce n'est pas facile. Surtout dans les classes de maternelle.

«Les enseignants ont tourné l'exercice par le jeu : "on va jouer à cache-cache, se mettre dans le noir, allongés par terre pour que la directrice ne nous trouve pas…" On a tenu dix minutes et ça été long. A la rentrée, on va le refaire pendant vingt minutes comme les préconisations ministérielles, mais cela va être dur. Il faut se préparer. Au début, je me disais qu'il ne fallait pas tomber dans la psychose, dans le stress généralisé. Mais j'ai changé. L'école fait partie des cibles. J'ai envie de penser qu'ils ne viendront pas chez nous, que ça tombera à côté. En fait, tout le monde essaie de se dire ça, je crois.»

«Nous avons pré-écrit plusieurs SMS types, prêts à être envoyés aux parents»

Une principale adjointe de collège à Paris

«Chacun sait exactement ce qu’il a à faire en cas d’attaque. Notre chef d’établissement est chargé des contacts avec le rectorat et la police. La secrétaire, la conseillère principale d’éducation (CPE) et moi avons pour mission de gérer les relations avec les parents. Nous avons pré-écrit plusieurs SMS types, prêts à être envoyés. L’un des enjeux est d’éviter absolument que les parents viennent devant l’établissement. On a prévu des ordinateurs portables pour donner les informations via le site internet du collège et l’ENT (l’environnement numérique de travail). Nous avons eu beaucoup de réunions ces derniers mois, avec le rectorat, la préfecture… Notre préparation ne sera jamais parfaite, bien sûr, mais on essaie de penser à toutes les failles.

«A la rentrée, nous ferons un exercice de mise en pratique, comme le prévoient les textes officiels. Pour l’instant, on ne l’a pas fait. C’était trop compliqué après les attentats de novembre, des personnes de l’équipe ont été touchées. Ce n’est pas évident à gérer. Anticiper une attaque est très anxiogène. A la fin de l’année, en juillet, on a proposé aux enseignants volontaires une formation aux premiers secours. Je l’ai faite.»

«On essaie de préparer les élèves, de changer la culture de l’établissement»

Un principal de collège en Haute-Loire

«Ici, nous sommes dans une petite ville, on ne se considère pas dans un endroit dangereux, peut-être à tort. Je n'ai pas peur. Mais cela ne nous a pas empêchés de beaucoup travailler ces derniers mois. On a commencé par élaborer un PPMS (plan de mise en sûreté). En réalité, nous aurions déjà dû l'avoir, c'était dans l'air mais rien n'avait été fait. J'ai reçu l'aide d'un consultant de la police. Notre établissement est sur trois niveaux, avec une rue de chaque côté : une vitre à l'avant, une grille à l'arrière. Un immeuble d'habitation donne sur la cour de récréation. Si quelqu'un tire depuis une fenêtre de l'immeuble, on ne peut rien faire. Le policier a commencé par m'expliquer qu'il fallait opérer un changement de philosophie. En cas d'incendie par exemple, le plan d'évacuation permet de mettre à l'abri tous les élèves et personnels. Mais si un terroriste pénètre dans l'établissement, mon rôle est d'empêcher sa progression pour en sauver un maximum… Tous, ce n'est pas possible.

«Il faudrait par exemple que les élèves se barricadent dans les classes en empilant les chaises contre la porte pour bloquer l'accès. Pour l'instant, ce n'est que théorique, nous n'avons pas fait d'exercice de ce type avec les élèves, et je ne sais pas si on ira jusque-là. Vous imaginez la terreur ? On essaie de les préparer, de changer la culture de l'établissement. Notre infirmière a intensifié les stages de formation aux premiers secours, 120 élèves ont participé l'année dernière. On a aussi mis en place un module avec la venue de pompiers dans les classes de sixième pour parler des bons réflexes et attitudes à adopter. Désormais, aucun élève ne rentrera dans l'établissement sans photo d'identité et contrôle visuel à l'entrée. Au mois de mai, on a participé une simulation organisée par la préfecture. Les élèves n'étaient pas associés à l'exercice, cela ne concernait que l'équipe de direction mais nous avons appris beaucoup de choses. Dans l'exercice, le téléphone n'arrêtait pas de sonner : parents inquiets, journalistes… Il faut aussi gérer cette pression, une seule personne doit communiquer pour éviter au maximum la panique et surcharger les lignes téléphoniques. Mais là encore, entre la théorie et la pratique…»