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Laïcité

Burkini : Sarkozy s’excite, la gauche se frite

Burkini, une polémique françaisedossier
Avant la décision ce vendredi du Conseil d’Etat sur la légalité des arrêtés contre le maillot de bain islamique, le gouvernement se divise publiquement pendant que l’ex-président veut une loi prônant une interdiction sur tout le territoire.
Un arrêté municipal interdisant le port du burkini sur une plage de Nice, le 19 août 2016 (Photo JEAN CHRISTOPHE MAGNENET. AFP)
publié le 25 août 2016 à 20h51

Ils auraient pu attendre la décision du Conseil d'Etat mais à huit mois de la présidentielle, et en pleine primaire de la droite, la prudence juridique n'est plus de mise. Alors que la plus haute juridiction administrative doit trancher ce vendredi sur la légalité d'un arrêté municipal interdisant le port du burkini sur la plage (lire ci-contre), Nicolas Sarkozy, tout nouveau candidat à la primaire, en appelle désormais à une loi. Au sein du gouvernement, la position de soutien aux maires de Manuel Valls, est ouvertement contestée par deux ministres importants.

Sarkozy renchérit, Juppé reste discret

Nicolas Sarkozy qui a brandi l'identité comme «premier combat» pouvait-il rêver meilleure affaire pour entrer en campagne ? Ses soutiens - dont certains ont eux-mêmes pris des arrêtés dans leur ville, comme Daniel Fasquelle au Touquet (Pas-de-Calais) - n'avaient pas attendu la candidature de l'ex-président pour se déchaîner contre ce burkini que beaucoup assimilent, sans s'embarrasser de nuances, à une déclinaison du voile intégral pour la baignade. L'ancien chef de l'Etat ne se contente plus de soutenir les maires qui ont interdit la tenue de bain prisée par certaines musulmanes, mais demande carrément de faire voter une loi d'interdiction «sur tout le territoire de la République». «Notre identité est menacée quand on laisse les communautarismes prospérer […], quand on laisse des minorités imposer un mode de vie qui ne sera jamais le nôtre», a-t-il clamé jeudi soir lors de son premier meeting à Châteaurenard (Bouches-du-Rhône). Succès garanti auprès de ses supporters. Dès mercredi sur TF1, Sarkozy avait proposé de proscrire «tout signe religieux à l'école mais également à l'université, dans l'administration et aussi dans les entreprises». Un jour de plus, un pas de plus. Sur le plateau du JT, il en avait aussi profité pour cogner le gouvernement : «L'Etat a démissionné et laisse des maires face à cette réalité.» Eric Ciotti, son porte-parole, lui, n'a pas hésité à accuser l'exécutif de communautarisme électoraliste : «M. Hollande paie le prix de l'addition de 2012. Il a été élu quelque part grâce à un islam politique.»

Dans l'hystérisation du débat, les autres candidats à la primaire ne sont pas en reste, de François Fillon qui voit dans le burkini «un avatar de la burqa» à Jean-François Copé et Bruno Le Maire pour qui le maillot de bain islamique est une «provocation», en passant par Nathalie Kosciusko-Morizet. Alain Juppé, rentré jeudi de vacances, est, lui, resté très discret. «En termes de valeurs, ce n'est pas une tenue compatible avec notre conception de la femme dans la société française au XXIe siècle. Et les maires sont les mieux placés sur le terrain pour définir l'ordre public», résume Benoist Apparu, un très proche du maire de Bordeaux. Mais le député de la Marne prône plutôt un «accord global entre l'islam et la République sur la formation des imams, le prêche en français et pourquoi pas les tenues vestimentaires au lieu de saucissonner les sujets». Selon Apparu, Juppé ne compte pas se laisser embarquer dans la polémique, samedi à Chatou (Yvelines), où il fera sa rentrée politique. Son rival ne manquerait alors pas d'y voir la preuve de la candeur de l'ancien Premier ministre qui s'est fixé «l'identité heureuse» comme objectif.

Dissonances au cœur du gouvernement

Alors que les responsables de la majorité avaient prévu de lancer la dernière ligne droite du quinquennat, lundi, lors d'un meeting à Colomiers (Haute-Garonne) sur le thème de «la République», voilà que les arrêtés anti-burkini de maires de droite et d'une poignée de maires de gauche ont fissuré le bel édifice prévu dans cette rentrée pour riposter à l'opposition partie en campagne. Jeudi matin, Manuel Valls répète sur RMC et BFM TV sa ligne : soutien aux édiles qui ont pris ces décisions mais pas de loi. Le Premier ministre appelle aussi les forces de l'ordre au «discernement» dans l'application de ces arrêtés.

Mais à la même heure, sa ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, déclare sur Europe 1 ce que beaucoup de socialistes pensent depuis quelques jours : si elle est «contre le burkini» par «convictions féministes», elle qualifie ces interdictions de «dérive» : «J'estime que cette prolifération n'est pas bienvenue […]. Et cela, par ailleurs, libère la parole raciste : on l'a remarqué dans les verbalisations, dans les incidents qui se sont déroulés.» Valls découvre à l'antenne la déclaration de sa ministre : «Non, non, non… C'est une mauvaise interprétation des choses. Ces arrêtés ont été pris au nom même de l'ordre public, répond-il. Ils ont été pris à un moment donné, dans des plages du sud de la France, quelques jours après l'attentat de Nice, dans un contexte particulier.»

La sortie de Vallaud-Belkacem libère alors la parole au sein du gouvernement. Sur son blog, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, s'oppose frontalement à Valls : «Faire comme si, en se baignant voilée ou en restant habillée sur une plage, on menaçait en soi l'ordre public et les valeurs de la République, c'est oublier que ces valeurs doivent précisément permettre à chacun de ne pas renier son identité […] Faire du port du voile l'expression d'un refus de la République, non.» Dans une allusion à la polémique, François Hollande a refusé de se mouiller, depuis La Celle-Saint-Cloud (Yvelines) où il recevait jeudi les dirigeants sociaux-démocrates européens, en se contentant de rappeler que la «vie en commun» demandait «ni provocation ni stigmatisation». Pas sûr que cela suffise à avoir, lundi à Colomiers, des ministres s'exprimant à l'unisson.

Le reste de la gauche parle de «racisme»

Comme tous les ans, le Nouveau Parti anticapitaliste est à Port-Leucate pour son université d'été. Ça tombe bien : la station balnéaire de l'Aude est une des communes où le burkini est proscrit. Du coup, les camarades d'Olivier Besancenot ont organisé jeudi une manifestation dans les rues de la ville sous le slogan de «Non à l'islamophobie». De ce côté de la gauche, on dénonce en grande majorité, comme au PCF, des «dérives racistes, malsaines et dangereuses». Chez les Verts, à l'image de Cécile Duflot jeudi dans Libération, on fait la part des choses entre le combat féministe contre le port du burkini et les interdictions visant «l'islam», «défouloir de nos peurs». Défendant une vision stricte de la laïcité, Jean-Luc Mélenchon interpelle, avec ironie, Sarkozy. Interdire tous les signes religieux ? «Pourquoi pas ? Mais c'est clair : tous les signes religieux ! a-t-il dit. Ça veut dire que la kippa, on n'a pas à la porter, les chapeaux en peau de mouton [portés par les juifs orthodoxes, ndlr] non plus […]. Réfléchissons bien… La police des mœurs des vêtements, c'est quelque chose de très compliqué !»