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Libération
Primaire

La revanche du «collaborateur» Fillon

Avec son discours virulent contre Sarkozy dimanche, l’ancien Premier ministre, à la peine dans les sondages, règle en public ses comptes et acte une rupture en germe depuis 2012.

Nicolas Sarkozy et son Premier ministre, François Fillon, à Montauban en mars 2012. (Photo Laurent Troude)
Publié le 29/08/2016 à 20h31

Ce discours n'avait rien d'une colère soudaine. François Fillon l'a longuement mûri, travaillé et retravaillé tout au long de l'été, y compris ce paragraphe dans lequel il assassine le «mis en examen» Nicolas Sarkozy. Devant ses amis, réunis dimanche à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe) pour soutenir sa candidature à la primaire, il a voulu frapper très fort. Démontrer sa détermination pour ne plus laisser dire que le scrutin se résumerait à un match Juppé-Sarkozy. Largement distancé par ce duo, dépassé même par Bruno Le Maire, l'ancien Premier ministre prend tous les risques. Elu depuis trente-cinq ans, il a exercé toutes les responsabilités, assumé tous les mandats. Il n'a plus rien n'a perdre.

Formé à l'école de son mentor Philippe Seguin, il compte, de l'avis général, parmi les meilleurs orateurs de la droite. Dimanche les quelque 3 000 sympathisants venus l'entendre n'ont pas été déçus. Le discours de Sablé ne déroule pas seulement un projet de rupture «libérale et gaulliste». Il règle aussi de vieux comptes. Et pas qu'un peu : «Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne devraient pas pouvoir se présenter devant les électeurs. Il ne sert à rien de parler d'autorité quand on n'est pas soi-même irréprochable. Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?» a-t-il notamment lancé. Ceux qui l'ont acclamé ont parfaitement compris l'allusion à Nicolas Sarkozy et à sa double mise en examen, dans l'affaire Azibert (corruption) comme dans celle des comptes de campagne de la présidentielle de 2012, dite «affaire Bygmalion» (lire page 7). Plus loin, dans ce même discours, Fillon en a remis une louche sur la «dignité» perdue de la présidence du pays : «Notre Constitution ne fait pas du président de la République un PDG et encore moins un sultan turc. Le président de la République ne devrait pas être un président de faits divers, prenant la parole à tort et à travers […], multipliant les petites promesses démagogiques et occupant les rubriques mondaines.» Là encore, les invités de Sablé ont bien reçu le message.

Repli stratégique

Lundi matin, sur RTL, le «sultan turc» a fait mine d'ignorer la charge : «Je ne me donnerai pas le ridicule d'attaquer celui avec qui j'ai travaillé pendant cinq ans», a répondu Sarkozy, avant de suggérer qu'il pourrait y avoir une corrélation entre les mauvais chiffres des sondages - Fillon ne dépasse guère les 10 % d'intention de vote - et la «nervosité» de son ancien Premier ministre. De fait, la charge aurait sans doute été moins lourde si le Sarthois avait été en meilleure forme sondagière.

Si Fillon s’est lâché si fort, c’est qu’il considère que Sarkozy n’est pas étranger à sa disgrâce. Depuis la défaite de la droite en 2012, les relations entre les deux hommes n’ont cessé de se dégrader. Mieux que personne, Fillon sait que la prétendue «retraite» du président battu n’était qu’un repli stratégique. Il n’a pas oublié le rôle actif des sarkozystes, aux côtés de Jean-François Copé, dans le fiasco de l’élection de novembre 2012 pour la présidence de l’UMP. Il a aussi été témoin des multiples tentatives de sabotage de cette primaire dont il peut revendiquer la paternité. Alors que la scission était consommée entre fillonistes et copéistes, il avait imposé la conversion de sa famille politique à ce mode de désignation. Ce fut, en janvier 2013, la condition de la réunification et de la coexistence pacifique à droite.

Dans le camp Fillon, on n'en peut plus d'entendre Sarkozy refaire l'histoire. Samedi encore, devant le campus des militants LR au Touquet (Pas-de-Calais), l'ancien chef de l'Etat s'est employé à ridiculiser son ancien «collaborateur» et le combat fratricide dans lequel il s'est engagé contre Copé, fin 2012. «Deux mois après ma retraite, ils ont été frappés par la mouche tsé-tsé de la division, ils se supportaient plus», s'est amusé le candidat, sous les rires de ses fans. Il a juré lundi matin sur RTL qu'il était «parfaitement sincère» quand il a annoncé son retrait de la vie politique. Son retour ne fut pas un choix, mais «une obligation». Il devait revenir pour sauver sa famille et son pays puisqu'il était démontré que personne n'était en mesure le lui succéder. Surtout pas ce malheureux Fillon, tragiquement dépourvu d'autorité, d'énergie et de leadership. Rien de bien nouveau : depuis plus de quatre ans, les sarkozystes pilonnent méthodiquement celui qui eut l'audace de prétendre remplacer Sarkozy.

A Sablé, Fillon a commencé par cette confidence : «En 2012, j'avais la conviction que je pouvais battre François Hollande. J'ai été loyal et discipliné. Depuis, la roue a tourné et me voici avec ma liberté et ma volonté de vaincre.» De fait, si cette hypothèse n'a jamais été envisagée sérieusement, de nombreux élus UMP regrettaient que le Premier ministre, bien plus haut dans les sondages que le Président, ne soit pas leur candidat.

Spirale

Moins de trois semaines après la défaite, fin mai 2012, le trop populaire Fillon était déjà ciblé. Son crime ? Il avait osé dire qu'il n'y avait «plus de leader naturel à l'UMP». L'ultrasarkozyste Christian Estrosi s'en était étranglé : «Pour une immense majorité de Français, Sarkozy reste, moralement, notre leader naturel.» Trois mois plus tard, au moment de se déclarer candidat à la présidence de l'UMP, Fillon se confie au Point en août 2012 : tout en rendant hommage à «l'énergie considérable» et au «sang-froid dans la gestion des crises» du président battu, il explique que le fillonisme se caractérise par «une approche plus sereine et pragmatique des choses». Il osait donc suggérer qu'il pourrait mieux faire que son ancien patron… C'en était trop ! Quelques jours plus tard, Copé promettait à Sarkozy qu'il serait «à ses côtés» le moment venu. Ce qui lui valut, illico, le soutien indéfectible du ban et de l'arrière-ban sarkozystes. Copé devint alors la nouvelle coqueluche des amis de Sarkozy. Le président «retraité» ira même jusqu'à décorer le bras droit du député-maire de Meaux (Seine-et-Marne), Jérôme Lavrilleux, directeur-adjoint de sa campagne et futur héros du scandale Bygmalion. L'offensive anti-Fillon est un succès. Privé d'une victoire qui semblait lui être acquise, l'ex-Premier ministre est entraîné pour de longs mois dans la spirale dégradante de sa bagarre contre Copé. Son image dans l'opinion s'en trouvera durablement altérée.

Culot

L'été 2013 marquera une nouvelle étape dans la dégradation des rapports entre les deux hommes. A cette date, la possibilité d'un retour est ardemment entretenue par les fidèles sarkozystes. Devant ses sympathisants réunis à La Grande-Motte (Hérault), Fillon se révolte : pas question pour lui de rester «immobile, congelé, au garde-à-vous, dans l'attente d'un homme providentiel». Il ne cache pas son exaspération contre celui qu'il soupçonne de «vouloir tuer toute alternative». En privé, il se demande comment l'ex-président déchu peut avoir le culot de se mettre en scène comme un recours après avoir «foiré sa campagne, planté les finances du parti». Le Conseil constitutionnel venait en effet de rejeter les comptes de campagne de Sarkozy pour quelques centaines de milliers d'euros. Tandis que les sarkozystes dénonçaient une sanction politique, Fillon appelait, déjà, au respect du droit : «On ne peut exiger des Français qu'ils respectent les règles si nous-même nous les réfutons.»

Après la révélation du scandale Bygmalion par Libération, l'été 2014 sera tout aussi meurtrier que les deux précédents. Avec la chute de Copé, forcé à la démission, les amis de Sarkozy tenteront, en vain, de contester la légitimité du trio Juppé-Raffarin-Fillon, désigné pour assurer l'intérim jusqu'à l'élection d'un nouveau président du parti. Obligé de précipiter son retour, l'ancien chef de l'Etat jurera qu'il ne revient que «pour aider au rassemblement». En privé, ses amis se disaient persuadés que ce retour par le parti allait «tuer le match». Deux ans plus tard, on voit qu'il n'en est rien. Parce que de nombreux électeurs de droite - la majorité, jusqu'à preuve du contraire - préfèrent Juppé pour 2017. Les milliers de fillonistes, dont plusieurs dizaines de parlementaires LR, réunis à Sablé ont quelques raisons d'y voir une injustice. Ils jugent leur champion bien mal récompensé de ses quatre années de résistance acharnée face au rouleau compresseur sarkozyste. C'est pourquoi ils ont été si nombreux dimanche à l'applaudir quand il a jugé Sarkozy moralement disqualifié pour l'Elysée.