S'il fallait figurer le cœur du cœur de l'Etat, «l'hyper-régalien», ce serait sans doute au tampon rouge, en écrivant en lettres capitales les mots «Confidentiel défense» (ou «Secret-défense», voire «Très secret» pour les plus hardis). Chose rare, l'inscription apparaissait la semaine dernière sur une page du journal le Monde, qui reproduisait un document du chef d'état-major particulier de l'Elysée présentant le raid prévu fin août 2013 contre des installations militaires syriennes. On connaît l'histoire : les bombardements n'auront pas lieu, l'archive a essentiellement une valeur historique.
Peu après la publication, quelques voix se sont émues qu'un document de cette nature se retrouve dans la presse, certaines (surtout dans l'opposition) y devinant la main du président de la République lui-même, qui se serait ainsi rendu coupable d'une rupture du secret de la défense nationale. Une hypothèse qui ne devrait pas dépasser le stade de la spéculation grâce à la protection du secret des sources, ce qui est heureux. Mais n'a pas toujours été la règle. Plusieurs journalistes (dont l'auteur de ces lignes) se sont déjà retrouvés face à la police pour un interrogatoire après la publication d'informations classifiées. Des enquêtes ont parfois été ouvertes, l'une des dernières en date, annoncée l'hiver dernier avec colère et fracas par le ministre de la Défense, à propos des fuites dans la presse sur la présence de forces spéciales françaises en Libye.
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Deux logiques irréconciliables s'entrechoquent. D'un côté, le droit d'informer, y compris sur des sujets protégés, lorsque les informations d'intérêt public permettent d'éclairer le débat démocratique. De l'autre, la défense du secret, un régime dérogatoire aux règles de transparence destiné à «assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation». Dans le long documentaire qu'Yves Jeuland avait consacré à François Hollande (Un temps de président, diffusé en septembre 2015), celui-là était filmé dans l'avion présidentiel, en plein «brief» avec un haut gradé, quand soudain apparaissait à l'image le document classifié sur lequel planchait le chef des armés. Point de poursuites, cette fois. Dans cette matière hyperrégalienne, la règle semble être l'absence de règle, faisant du secret d'Etat le fait du prince.
Soudain, en gros plan, un document classifié sur les avancées de l’EI dans #UnTempsDePresident pic.twitter.com/KCFQmXM8ov
— Pierre Alonso (@pierre_alonso) September 28, 2015