François Fillon a-t-il fait preuve de courage ou a-t-il cédé à la facilité de la polémique dans l'espoir de rattraper son retard dans la course à la primaire ? Les deux ne sont pas contradictoires. Fillon sait très bien que sa violente charge contre Nicolas Sarkozy n'est pas forcément gagnante : ses électeurs pourraient lui en vouloir d'avoir brisé le grand tabou de sa famille politique. En rappelant à Sarkozy qu'un homme politique peut difficilement plaider l'impératif «d'autorité» sans être soi-même «irréprochable», l'ex-Premier ministre n'a pourtant fait que rappeler une triviale exigence démocratique (lire aussi pages 14-15). Quand on souhaite se présenter devant le suffrage des Français, le minimum est d'être au clair avec la justice de son pays. Sarkozy n'est pas un candidat comme les autres. Il est à ce jour le seul à être mis en examen dans deux affaires. Bien sûr, la présomption d'innocence vaut pour tout le monde, y compris pour un ancien président. Il ne s'agit en aucun cas de transiger avec ce principe, sauf à sombrer dans une société de la suspicion. Mais faut-il rappeler la jurisprudence établie par Edouard Balladur, qui vaut qu'un ministre, mis en examen, démissionne du gouvernement, le temps de prouver son innocence ?
Pourtant, les Français s'apprêtent à voter pour un candidat sans être sûrs de son innocence dans deux affaires, qui mettent en cause sa conception même de la chose politique. Dans l'affaire Bygmalion, Sarkozy est mis en examen depuis février pour «financement illégal de la campagne électorale» de 2012. Dans l'affaire des écoutes, il est mis en examen pour «corruption active», «trafic d'influence» et «violation du secret professionnel», pour avoir tenté d'obtenir des informations confidentielles auprès d'un haut magistrat de la Cour de cassation en échange d'un poste prestigieux à Monaco. Il encourt un an de prison, mais surtout l'inéligibilité pure et simple. Il va sans dire que cette situation, inconcevable dans les grandes démocraties anglo-saxonnes, n'est pas de nature à redonner confiance dans nos élites et dans la vitalité de notre démocratie représentative. «Est-ce que vous croyez que si j'avais quelque chose à me reprocher, je viendrais m'exposer dans un retour à la politique comme aujourd'hui ?» avait demandé Sarkozy. On aimerait le croire. Mais sa stratégie de défense suggère le contraire. Au lieu de demander à ce que justice soit rendue le plus vite possible, ses avocats se démènent depuis des mois pour multiplier des recours juridiques qui n'ont qu'un seul objectif : faire en sorte que ces deux procès ne puissent pas se tenir avant le premier tour de la présidentielle. Ce qui pose problème, ce ne sont pas les mots de Fillon. Mais la situation ubuesque de Sarkozy.