[Aux assises de Paris, l'avocate générale a requis dix ans de réclusion criminelle à l'encontre de Redda Boughanem, surnommé le «braqueur des stars» et accusé d'être le cerveau d'une affaire d'extorsion et de séquestration en bande organisée en 2012.]
Ce 9 octobre 2012, au tournoi du club de Morières (Vaucluse), le siège en face de l'échiquier reste vide. Le joueur et détenu Redda Boughanem, incarcéré à la prison du Pontet, a d'autres projets pour occuper sa permission de sortie. Vers 13 heures, place des Corps-Saints à Avignon, il se lève et pique un sprint jusqu'à la gare, laissant le surveillant pénitentiaire et le psychologue qui l'escortent médusés à la table du restaurant. Le fuyard raconte la suite, debout dans le box des accusés de la cour d'assises de Paris : «J'avais mon téléphone et j'ai appelé mon complice qui m'a remonté en mode "go-fast" jusqu'à Paris. On a bombardé sur l'autoroute.» C'est justement l'issue de cette expédition qui lui vaut de comparaître depuis le 30 août - aux côtés de six complices - pour des faits d'«extorsion» et de «séquestration» et dont le verdict est attendu mardi. Une histoire d'arnaque «entre escrocs» dans un hôtel de luxe parisien. Pas de quoi décontenancer Redda Boughanem, 46 ans, qui admet volontiers être le «cerveau» de la bande. L'homme à la carrure imposante et au crâne dégarni est un vieux routier des prétoires : dix-sept condamnations noircissent déjà son casier judiciaire, la plupart survenues pour des faits similaires.
«Spirale»
La vie de ce «bandit à l'ancienne» ou de ce «non-violent qui vole toujours les riches», selon les termes de son avocate, tient d'abord en une série de négations. Pas marié. Pas d'enfant. Pas d'adresse. Pas de travail. Depuis sa majorité, il n'a passé que trois ans, fractionnés, à l'air libre. Autrement dit, il totalise près de trente ans de détention. Une «spirale» de larcins et d'évasions - trois exactement - dont il paie actuellement le prix dans une cellule de la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis). «Sans vouloir jouer les Cosette», il narre brièvement une enfance «délicate» dans les bidonvilles de Nanterre puis ceux de la porte de Paris. Arrivé d'Algérie à l'âge de 3 mois avec sa mère, il n'a jamais connu son père et a été élevé par un beau-père violent et alcoolique. Très vite, Redda Boughanem prend «un abonnement à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis» sans que l'aide sociale à l'enfance ne réagisse. Sa sœur, «son repère», selon l'enquêtrice de personnalité, se suicide à l'adolescence pour échapper à un mariage forcé en Algérie. Esseulé, il finit par quitter l'école à 14 ans et déserte la maison. A l'époque, le jeune garçon erre dans les rues de la capitale endormie, fréquente les boîtes de nuit et survit grâce à de petits vols. «Il y a Paris le jour, immense et anonyme. Et Paris la nuit, plus interlope», décrit-il. Résultat, il découvre rapidement le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis et enchaîne les condamnations. Le sursis devient du ferme, l'addition s'alourdit. Trois ans en 1992, sept ans en 1997, quatre ans en 2005, cinq ans en 2006 devant le tribunal correctionnel.
En 2002, Redda Boughanem comparaît pour la première fois devant une cour d'assises, jugé pour une escroquerie convoquant flingue et paillettes. Il est accusé de s'être fait passer pour le représentant d'un émir du Golfe afin d'appâter de riches clients… et de les dévaliser. Le coup de bluff a fonctionné avec sa première cible, le comédien Olivier Lejeune, croisé au détour d'une rue. Ce dernier a accepté de réaliser un «spectacle privé» pour l'émir contre une généreuse rétribution. Mais c'est Boughanem qui assurera le show en délestant l'artiste de sa montre Cartier et de son argent dans l'ascenseur, canon du revolver sur la tempe. Le manager du boys band 2 Be 3 ou de riches propriétaires connaîtront le même sort. Verdict : huit ans de réclusion criminelle. Boughanem écope aussi d'une réputation de «braqueur des stars».
Il ne fera plus parler de lui dans la presse pendant près de dix ans, jusqu'à sa fameuse cavale de 2012. Avec un certain sens du rythme et des propos fleuris, il raconte à la cour comment il a planifié sa nouvelle combine derrière les barreaux du Pontet, quinze jours avant la permission de sortie, téléphone portable en main et connexion Facebook active. C'est par ce biais qu'il a recruté certains complices parmi les trois femmes et l'homme qui comparaissent libres. Quant aux deux autres, assis à ses côtés dans le box, tels des siamois à la silhouette fine et aux cheveux noirs en catogan, il a fait leur connaissance en prison. Redda Boughanem, plutôt mutique durant l'instruction, consent pour la première fois à détailler l'intégralité de l'opération. «Je ne suis pas dans ce que j'ai pu faire par le passé quand je m'en prenais à des victimes qui étaient inconnues», indique-t-il. Non, cette fois, il «a une dent» contre des Marocains qui la lui ont «faite à l'envers avec [son] oseille». «J'ai jamais été un riche, mais une fois j'ai été un pauvre avec de l'argent», poursuit-il. «C'était quand même de l'argent issu du vol», l'interrompt le président. «Monsieur le juge, je sais bien, mais on n'a pas la même vision. C'était mon argent. C'est malheureux à dire», rétorque l'accusé avant de reprendre le fil de son récit.
Pour se venger, Redda Boughanem propose un «deal aux "Caincains"», les Marocains qui l'ont escroqué avec en guise d'appât des smartphones dernier cri à prix cassé. «Ils sont partants, je me dis : "Tranquille."» Presque… Un imprévu survient en la personne de Charly A., un importateur de prêt-à-porter qui, informé de la transaction, ne veut pas passer à côté de l'aubaine. «Les Marocains et Charly A. se connaissent bien, ils se font une petite guéguerre sur les téléphones», commente Redda Boughanem, que la détention n'a manifestement pas empêché de se tenir informé du marché. «Moi, au début, Charly A., j'en veux pas mais je ne peux pas refuser, sinon ça leur aurait mis la puce à l'oreille.»
Dynamite
Ce 9 octobre 2012, donc, après avoir faussé compagnie à ses gardiens et traversé la France à toute berzingue, Redda Boughanem arrive au Concorde Montparnasse, un hôtel parisien 4 étoiles. Non sans avoir fait un crochet dans un magasin d'Airsoft pour s'équiper : trois armes et un butagaz. La transaction avec les Marocains puis celle avec Charly A. - prêt à investir quelque 300 000 euros - est prévue pour le lendemain. A 7 heures, ce dernier arrive accompagné de son neveu, technicien en téléphonie, et se dirige vers la chambre 220. A peine a-t-il ouvert la porte qu'il est neutralisé et menotté. «On va rien te faire, on veut l'argent», lui lance Redda Boughanem. Ses assaillants forcent ensuite Charly A. à enfiler un gilet tactique truffé de pains de dynamite. «Factices», précisera l'accusé. Lui et son neveu ne sont pas les premiers à tomber dans le panneau. Dans la salle de bains, l'un des Marocains, vêtu d'un gilet similaire, est allongé dans la baignoire, un autre assis sur les toilettes. Deux prisonniers sont également étendus sur les lits de la chambre, bâillonnés. Le traitement sera le même pour tous : ils sont dépouillés de leur argent.
Charly A., qui n'a pas grand-chose à offrir, appelle un ami susceptible de lui prêter 8 000 euros. Le sésame pour sortir du traquenard. Ses ravisseurs l'escortent dans le parking souterrain de l'hôtel, ils prennent la direction de la porte de Clignancourt pour récupérer l'enveloppe. Mauvaise surprise : elle est moins garnie que prévu. «Ecoute Charly, on va te faire une fleur des 4 000 euros, tu retournes à l'hôtel, tu récupères les couteaux, les scotchs, tu mets tout dans une poubelle et tout le monde chez soi», tranche Redda Boughanem, magnanime. Aussitôt libérés, les Marocains s'évaporent dans la nature. Mais Charly A. prend la direction du commissariat, où il porte plainte. Lors du procès, il n'a pas souhaité se constituer partie civile, apparemment «par peur de représailles». Finalement, Redda Boughanem sera «bêtement» interpellé à bord d'une Porsche Panamera lors d'un contrôle routier près de Malaga, en Espagne, où il menait grand train. Il est remis aux autorités françaises le 13 mars 2013. «Si ça avait pris la bonne tournure, j'aurais récupéré mes sous. J'espérais 300 000 euros mais, bien sûr, je n'avais pas de limite. Là, j'ai pris que 130 000 euros», déplore-t-il. Ses complices seront arrêtés en avril 2013 lors d'une opération policière organisée par la France, l'Espagne et le Luxembourg, autant de pays où la bande a sévi depuis l'affaire du Concorde Montparnasse.
«Fragile»
A la maison d'arrêt de Villepinte où Redda Boughanem est incarcéré, les surveillants ne le lâchent pas d'un œil. Il est «DPS», c'est-à-dire détenu particulièrement signalé et donc soumis à un régime carcéral strict. «Je suis dans une espèce de bulle dans laquelle je tourne en rond», commente-t-il. Son demi-frère, qui vient régulièrement, avait confié à l'enquêtrice de personnalité : «Il est grand, il est gros, il en impose, mais il est très fragile. Ça fait tellement longtemps qu'il est en prison qu'il n'arrive même plus à rêver de l'extérieur.» Pour s'évader, il ne lui reste que son imagination et un sens inné du commerce. C'est ainsi qu'avec son demi-frère, il a échafaudé un plan, légal cette fois. «Le bœuf de Kobe est interdit à l'exportation au Japon mais on a obtenu de l'ambassade d'avoir huit bêtes vivantes par an. On va les vendre halal car c'est un marché plus porteur pour les gens du Moyen-Orient dans les grands hôtels. Je pense qu'on peut dégager un bénéfice de 90 euros par kilo», expose-t-il à la cour, qui s'interroge sur l'avenir de cet accusé passible de la réclusion criminelle à perpétuité. «Vous ne jouez plus aux échecs ?» demande le président avec une pointe d'ironie. «Pour l'instant, je suis pat» (1), répond-il du tac au tac. Les joueurs souriront.
(1) Position dans laquelle le joueur ne peut plus jouer sans mettre son propre roi en échec.