A l'entame du procès, sitôt éclusées les arguties procédurales, le président du tribunal correctionnel de Paris, Peimane Ghaleh-Marzban, a tenu à bien cadrer le propos, la «problématique qui sera essentielle». Pourquoi Jérôme Cahuzac s'est-il enfermé dans le déni ? Les faits sont établis, admis à retardement par le principal intéressé : il a caché de l'argent à l'étranger (fraude fiscale) puis multiplié les manœuvres pour ne pas se faire pincer (blanchiment de fraude fiscale).
Mais pour fixer le quantum de la peine qu'il pourrait lui infliger, le tribunal aimerait en savoir un peu plus sur la psychologie du bonhomme, qu'il résume par cette interrogation : ses dénégations initiales relevaient-elles prosaïquement d'une «démarche calculée, prenant le risque de démentir [le fait qu'il détenait un compte en Suisse] ?» Ou psychologiquement, de la «problématique plus intime d'une personne prisonnière d'un mensonge» ? Les deux, mon président, a d'abord paru répondre Cahuzac. Réponse 1 : «Quand sort le premier article de Mediapart, j'ignore qu'ils disposent d'un enregistrement. Ils ont seulement le mémoire d'un agent des impôts qui affirme que je suis propriétaire d'un bien à Marrakech, inexact, et d'un compte en Suisse, exact. Donc je démens. Le piège.» Réponse 2 : «Devant l'Assemblée nationale, je nie et ruine en dix minutes dix ans de vie politique. Je n'accepte pas que ça soit révélé. On résiste, on tient, c'est humain.»
Laboratoires. Mais c'était avant de venir au sujet qui lui tenait à cœur : à l'origine de l'ouverture - en 1992 - de son compte en Suisse arrosé par les laboratoires pharmaceutiques, il y aurait le financement occulte des activités politiques de Michel Rocard, explique pour la première fois - et à la barre - Jérôme Cahuzac. Est-ce pour mieux se dédouaner du soupçon de trafic d'influence ? Pour mémoire, Jérôme Cahuzac était membre du cabinet de Claude Evin lorsque ce dernier était ministre de la Santé dans le gouvernement Rocard (1988-1991).
Ecoutons son récit : «Quand [Rocard] quitte Matignon, il s'installe rue de Varenne. Ses bureaux sont vastes, ses collaborateurs nombreux. Nous sommes quelques-uns à nous battre pour qu'il soit candidat à la présidentielle de 1995. J'y travaille.» Jusqu'ici tout va bien, la suite paraît moins glorieuse : «Il m'est rapidement demandé si les laboratoires pharmaceutiques pouvaient aider. Donc je vais voir ceux qui acceptent d'aider.» A l'entendre, rien de surprenant, du moins à l'époque : «Les labos ont financé tous les partis, certains plus que d'autres, et surtout leurs courants minoritaires.» Le financement des partis par les entreprises était alors toléré mais plafonné. D'où ce discours que Cahuzac dit avoir entendu : «OK, pourquoi pas, mais pas en France.» Rocard ou Evin étaient-ils au courant ? «Certainement pas», atteste «saint Jérôme», qui toutefois glisse perfidement : «Quel homme politique pouvait penser à l'époque que l'argent des militants suffisait ?»
Omerta. Le tribunal se montre à la fois dubitatif et fort intéressé par ces digressions. «Il faudrait concrétiser pour rendre crédibles vos propos.» Jérôme Cahuzac entretient le flou : «Une seule personne et personne d'autre était au courant de ce compte [en Suisse].» Bien évidemment, il en tait le nom tout en entretenant le suspense : «Ceux qui savent se taisent.» Il faudra s'en contenter. Mais puisque le sujet des labos est sur la table, le tribunal entend l'examiner, quand les juges d'instruction en charge de l'enquête l'avaient balayé au motif que «ces faits anciens n'ont pas été caractérisés».
Le président Ghaleh-Marzban exhume un vieux rapport de la Cour des comptes affirmant que «le non-déremboursement», comprendre le maintien du remboursement par la Sécu, d'un médicament contre la fatigue «aurait coûté 100 millions de francs à l'assurance-maladie». Suivi d'un document interne du fabriquant mentionnant le nom de Cahuzac «pour accélérer», lui-même suivi d'un versement de 100 000 francs pour financer la campagne législative de Claude Evin à Saint-Nazaire. Et de suggérer un «effet d'aubaine». A ces mentions, Cahuzac se drape dans sa dignité outragée : «Je n'ai jamais été un lobbyiste, activité, qui consiste à harceler les membres d'un cabinet, à les inviter au spectacle. Je me suis strictement cantonné à un rôle technique.»
Allez, une dernière pour la route. Hors-jeu mais n'en pouvant plus, le tribunal lui demande : «En avez-vous parlé au président [Hollande] ou au Premier ministre lorsque votre démission a été évoquée» au printemps 2013, suggérant qu'une allusion à la rocardie aurait pu le maintenir en poste à Bercy ? «Jamais, rien ne m'aurait permis de l'aborder», rétorque Cahuzac, proclamant avoir «décidé de tout prendre sur lui». Ce n'est pas forcément ce qu'on a cru entendre.