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Interview

Laurent Lantieri: «Il faut reprendre les greffes de visage»

Laurent Lantieri est, dans le monde, l'un des chirurgiens qui a fait le plus d'opérations de ce type. Il évoque l'avenir de cette forme de transplantation, après l'annonce mardi du décès d'Isabelle Dinoire.

Laurent Lantieri en 2010, à Paris. (Photo François Guillot. AFP)
Publié le 07/09/2016 à 16h22

Le décès, en avril, de la première patiente au monde à avoir bénéficié d'une greffe de visage, en novembre 2006, pose la question de ce type d'opération : complexe d'un point de vue de l'organisation chirurgicale et délicate en matière d'immunologie et de rejet d'organe. En dix ans, à peine une trentaine de ces interventions ont été effectuées. Et en France, depuis trois ans, tout est à l'arrêt, aussi bien les greffes de visage que celles des deux mains.

Le professeur Laurent Lantieri, chef de service à l'hôpital Georges-Pompidou, à Paris, est l'un des chirurgiens qui en a fait le plus : sept. La semaine dernière, lui et son équipe ont publié, dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet, une étude sur le suivi à long terme et les résultats de ses greffes. Pour lui, «il faut certes continuer, mais on est encore dans la recherche».

Saviez-vous, avant l’annonce de mardi, que la première opérée était décédée en avril ?

Oui, elle avait été opérée à Valenciennes, mais elle était venue nous voir en novembre. Elle avait alors deux cancers, liés aux traitements antirejet et sa situation clinique n’était pas simple.

Sa mort change-t-elle la donne ? Faut-il ou non continuer ces greffes ?

Oui. Nous ne sommes pas dans une situation de «stop ou encore», il faut poursuivre ces greffes dans un protocole de recherche clair.

Mais le vôtre est pourtant à l’arrêt.

Nous avions une recherche, déposée et acceptée, sur dix greffes du visage. On l'a menée à bien. Et on a publié l'analyse dans la revue The Lancet sur les risques à long terme.

Quels sont vos résultats ?

Notre travail a reposé sur la présélection de 20 patients. Dix possibilités de greffe du visage avaient été retenues, mais nous n’avons pu en faire que sept, pour des raisons immunologiques. Deux des patients greffés sont décédés, l’un soixante-cinq jours après la transplantation, l’autre plus de trois ans après, mais ce fut un suicide. Nous avons donc un recul de prés de dix ans. Certains ont connu des problèmes de rejet, d’autres pas. Trois patients ont souffert d’hypertension, mais tous les sept et leurs familles ont bien accepté la greffe.

Quelle est la qualité de vie ?

Elle est variable. Pour l’un d’entre eux, elle est même excellente. Clairement, la qualité de vie dépend beaucoup de la situation psychiatrique ou mentale du patient, et de la cause de l’atteinte au visage. Ce qui nous conduit donc à être très vigilant sur la sélection des patients. Pour moi, ces greffes ne sont pas en échec. Rappelez-vous que pendant trois ans les premières greffes de foie se sont traduites par le décès de tous les opérés, alors qu’aujourd’hui cela marche très bien.

Pourtant, vous ne faites plus de greffe du visage depuis trois ans…

Il n’y a pas d’argent, donc pas d’autorisation. Je n’ai pas arrêté, on m’a fait arrêter. Et je le regrette d’autant plus que nous avons des demandes.

La demande est forte ?

Non. Un ou deux patients par an, ce n’est pas beaucoup, mais pour eux il n’y a pas d’alternative. Les greffes de mains comme de face, doivent reprendre, avec bien sûr une autorisation préalable et un encadrement strict.