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à la barre

Procès Cahuzac : Madame promène son compte

L'affaire Cahuzacdossier
Patricia Cahuzac, auditionnée à partir de ce lundi, devrait éclairer le tribunal correctionnel de Paris sur la nébuleuse des comptes offshore du couple.
Patricia Cahuzac, au palais de justice de Paris, le 5 septembre 2016, date d'ouverture de son procès et celui de son ex-époux. (Photo Laurent Troude pour «Libération»)
publié le 11 septembre 2016 à 19h01

Ils échangent parfois quelques mots complices lors d’une interruption d’audience. Jérôme, redevenant charmeur, parvient alors à décrocher un sourire en coin de Patricia. Les époux Cahuzac ne sont pas encore formellement divorcés, puisque leur litige civil n’a pas encore été tranché par la cour d’appel, mais l’audition de madame, à partir de lundi devant le tribunal correctionnel de Paris, est très attendue. La semaine dernière, principalement consacrée à monsieur, on a pu la voir trépigner sur le banc des prévenus, prête à bondir pour intervenir, mais aussitôt calmée d’un geste par le président Peimane Ghaleh-Marzban, réservant ses propos pour plus tard.

Dans la maison Cahuzac, où tous les deux exercent le métier de chirurgien capillaire, c’est chacun sa cagnotte offshore. Patricia Cahuzac a ouvert un compte sur l’île de Man en 1997, alimenté par des patients anglais. Son mari en est l’ayant droit économique, car on partage tout entre époux mariés sous le régime de la communauté de biens. Mais il ne s’en occupe pas, se contentant de profiter des 8 000 euros qu’elle en retire annuellement en liquide pour les faux frais du ménage. Ce n’est qu’en 2007, le couple battant de l’aile, qu’elle transfère l’argent en Suisse sous son seul nom. La BNP s’y colle avant de lui demander d’aller voir ailleurs en 2010, le nom de Cahuzac devenant alors trop exposé. La banque Gonet prendra le relais. Durant l’instruction, madame s’est accusée, en dévoilant de son propre chef cette cagnotte occulte pour mieux accabler son futur ex : il y en a pour 2,5 millions d’euros.

«Un deal»

Jérôme Cahuzac a ouvert son compte en 1992. Il est alimenté par des laboratoires pharmaceutiques. Pour ses besoins personnels ? Ou ceux de la galaxie Rocard, comme il l'a révélé la semaine dernière au début de son procès pour tenter de se dédouaner ? Un an plus tard, il inscrit sa femme comme ayant droit, sans qu'elle ne soit forcément au courant du dessous des cartes. «Vous la mettez en grande difficulté, commente le président. S'il vous arrive quelque chose, votre épouse devient titulaire d'un compte politique occulte. Comment aurait-elle pu savoir que cet argent ne lui appartenait pas ?» Réponse embarrassée de Jérôme Cahuzac : «Je veux croire qu'elle aurait cru la personne qui serait venue le lui dire.» Son fameux «interlocuteur» au sein de la rocardie. Comme le ménage vacille, il transfère en 2009 les 600 000 euros disponibles à Singapour à son seul nom.

L’ultime compte plus ou moins commun sera ouvert en 2003, la mère de Jérôme Cahuzac servant de prête-nom à son corps défendant. Les sommes ainsi non déclarées sont plus modestes, 215 000 euros en sept ans, déposés par monsieur, mais dont madame profitera indirectement. Cela fait quand même trois canaux de dissimulation.

Il est beaucoup question de mensonges. «Quoi que je dise, ma parole ne vaut plus rien. Quelle raison aurait-on de me croire ? De toute façon, je ne peux rien prouver, alors à quoi bon ?» se confiait avant le procès Jérôme Cahuzac à son ami Jean-Luc Barré, un ancien élu local de son fief du Lot, qui en tirera un livre (Dissimulations, Fayard). Mais mentir, devant l'Assemblée nationale ou à la télévision en niant détenir un compte offshore, ce n'est pas un délit. L'ancien ministre délégué au Budget est jugé pour blanchiment de fraude fiscale, pour avoir omis de déclarer son argent au fisc français. Toutefois, les juges semblent vouloir tenir compte de son rapport élastique à la vérité avant de prononcer une condamnation - les faits sont établis, il plaide coupable : l'échelle va jusqu'à sept ans de prison, ce n'est pas rien. «Aidez-nous», l'a imploré le président dans un procès tenant parfois du confessionnal. «Le tribunal lui propose un deal : confesse-toi et je t'absoudrai», du moins en partie, décrypte un avocat. Qui ajoute diaboliquement : «Balancer ses amis pour se dédouaner est un pari risqué», pénalement comme moralement parlant.

Son explication, dans laquelle il parle d'un mini-trésor de guerre des rocardiens, a le mérite pour Jérôme Cahuzac de rationaliser son comportement. Quand il affirme «cet argent n'étant pas le mien, je n'ai pas vu la nécessité de le déclarer», ou encore «je ne m'en suis pas servi car cet argent n'est pas le mien», tout devient parfaitement «logique et mécanique». Du moins pour la période comprise entre 1992 (ouverture du compte en Suisse) et 1998 (son transfert de l'UBS à la banque Reyl). Après, tout se gâte.

En avril 2000, il part au Moyen-Orient remplumer une dizaine de crânes dégarnis (entre 10 000 et 15 000 euros), repart avec un «sac de billets» contenant 115 000 francs suisses (près de 105 000 euros. Rebelote un an plus tard, pour 91 000 francs suisses (83 000 euros). Lesquels alimenteront son compte occulte, qui désormais fait office de cagnotte pour usage personnel : débits de 100 000 euros en juin 2003 pour acheter un petit appartement à Paris, de 16 000 euros en décembre 2004 pour des vacances à l'île Maurice, de 6 000 euros en décembre 2007 pour un voyage aux Seychelles. Sans compter deux remises de 10 000 euros en 2010 et 2011, en cash et en mains plus ou moins propres dans la rue, à Paris, par un convoyeur de fonds. «Cette vérité m'accable», ne peut qu'admettre le ministre déchu. Tout en jugeant «très important pour [lui]» que «pas un centime» des fonds, appartenant selon ses dires aux rocardiens - de 3,2 millions de francs à l'époque, à 687 076 euros à l'arrivée, car le placement a généré des intérêts - n'aurait été récupéré par lui.

Est-ce la vérité ? Nul ne le saura jamais, mais la thèse a sa vraisemblance, c'est toujours mieux que rien. Les versements des laboratoires pharmaceutiques s'effectuent en un temps très court (décembre 1992-mars 1993), alors que sa reconversion en chirurgien esthétique et consultant auprès des labos venait à peine de démarrer. Au parquet, s'étonnant que les derniers versements soient postérieurs à la déroute du PS aux législatives, Michel Rocard étant lui-même battu dans son fief des Yvelines, Jérôme Cahuzac peut rétorquer avec raison que, nommé dans la foulée premier secrétaire du parti, Rocard n'avait plus besoin de financer son courant minoritaire. De même : ne plus avoir de nouvelle ou d'instruction de son «interlocuteur» à partir du milieu des années 90, s'explique par le fait que le même Rocard s'est éclipsé de la vie politique après la bérézina de la liste qu'il a conduite à l'élection européenne de 1994.

«La clandestinité»

Jérôme Cahuzac a fait raconter à Jean-Luc Barré cette scène qu'il date de début 1992 : sous son égide, Rocard et les siens visitent les laboratoires Pierre-Fabre à Toulouse, puis sont conduits en hélicoptère pour déjeuner au château de son patron, au milieu d'un aréopage de sommités locales : «Fabre présidait le repas à la manière d'un seigneur accueillant ses vassaux. Des obligés qu'il couvrait de ses largesses et dont il savait pouvoir, en retour, tout obtenir ou presque. Selon les témoins, le chef de file des rocardiens était "très petit garçon" devant ce potentat méridional.»

D'autres souvenirs sont plus pénibles : quand le tribunal lui rappelle qu'il a recouru à un pseudo, «Birdie», après son élection à l'Assemblée en 1997. Clin d'œil au jazz (surnom de Charlie Parker) plutôt qu'au golf, a-t-il minaudé avant de concéder : «Ce nom de code est ridicule, mais corollaire à la clandestinité.» Quand le parquet lui rappelle ses propos tenus lors d'une commission d'enquête sur les paradis fiscaux (dite Peillon-Montebourg), mettant en cause le ministre du Budget, Eric Woerth. A l'époque, il reproche à ce dernier de vouloir l'amnistie pour les Français qui rapatrient leurs capitaux.Après avoir temporisé («je n'ai pas été d'une assiduité formidable [à cette commission]»), Cahuzac ne peut qu'ajouter : «Réentendre ces propos aujourd'hui est cruel, mais cela ne fait pas de moi un spécialiste du offshore.» Bémol du président : «C'est un sujet que vous maîtrisez.»