«Ma femme a été une mère exceptionnelle et une épouse formidable». Jérôme démarre avec courtoisie, avant d'en finir au bazooka: «Elle m'a menti, je n'aurais jamais cru qu'elle me spolierait, il a fallu que je le découvre dans ce dossier pénal.» Quand Patricia rétorque entre-temps, aussi doucement que fermement: «Je ne me serais jamais permis sans prévenir mon mari.»
Il a beaucoup été question, lundi après-midi, d'implants capillaires, activité commune aux époux Cahuzac avant leur divorce. L'un et l'autre, s'étant rencontrés en fac de médecine, n'y étaient destinés avant leur rencontre avec le Dr Pouteaux, chirurgien reconnu du secteur, ne rechignant pas à se faire payer au black. Jérôme campe ce dernier avec une bonhomie douteuse: «Convaincu de fraude fiscale au Luxembourg, il a payé pour ça, mais c'est un homme bien. Il a remarquablement gagné sa vie, pouvant ensuite profiter de sa passion pour l'Opéra». Patricia est moins lyrique, racontant comment il les aurait initiés aux ficelles du métier, d'où ce savoureux échange avec le président du tribunal :
- Il vous transmet son savoir-faire, médical et financier.
- Il ne nous dit pas que c’est comme ça qu’il faut faire, mais que c’est comme ça qu’il fait.
- Est-ce une pratique courante dans ce domaine spécifique ? C’est très coûteux, les implants, des personnalités ont beaucoup d’argent…
- Même idée dans la chirurgie esthétique.
- J’ai peur de vous suivre.
- C’est une activité sans feuille de sécu, pas besoin de passer par un médecin.
- Cela facilite les choses.
- Comme chez les dentistes…
– On va faire le tour des spécialités médicales ! s'exclame le président.
9000 euros par an pour les faux frais du foyer
Dans un premier temps, entre 1991 et 1997, c'est Jérôme Cahuzac qui prend la suite du Dr Pouteaux. «Il me réserve sa clientèle française, se réservant les Anglais», tient-il à préciser, les premiers étant déclarés et les seconds payant à l'étranger. Puis madame prend le relais, toutes nationalités confondues, monsieur décidant de se consacrer à la politique (il sera élu député PS en juin 1997). Sans chichi, selon elle: «Cela rebute souvent les médecins, car ça saigne. Moi, en tant que dermato, couper les peaux ne me pose aucun problème.» C'est donc elle qui ouvrira un compte bancaire sur l'île de Man, réceptacle des patients britanniques - 180.000 euros par an. Lui niera y être pour quoi que ce soit, avant de concéder à la barre: «Je connaissais le compte à Man, j'ai approuvé sa constitution, ses avoirs m'appartenaient pour moitié. Je reconnais qu'il a été alimenté par de la fraude fiscale.» Avant de minauder: «Je pensais initialement que c'était un compte de gestion, avec des frais, pas un compte de patrimoine.» Patricia rétorque: «Ce compte à Man, je n'ai jamais eu l'intention de le garder pour moi, c'était pour nous deux». Elle en tirait quelque 9.000 euros par an pour les faux frais du foyer familial. Jérôme paraît l'apprendre: «Elle dit qu'elle retirait du liquide pour notre ménage. Disons que je l'ai appris en procédure…»
Un petit détail permet de revenir sur sa tentative de distanciation avec ce foutu compte offshore. Il fut un temps question que son frère, Antoine Cahuzac, en devienne ayant droit en cas de malheur. «Hors de question, ça ne s'est jamais fait. Au contraire, mon frère aurait été pour moi une corde de rappel, m'ordonnant d'arrêter ces folies», tonne-t-il. «Je ne me serais pas permis de mentionner mon beau-frère sans lui en parler. Je suis pratiquement certaine d'avoir envoyé sa carte d'identité» au gestionnaire de la caisse noire, réplique madame.
«J'arrête la fraude»
Le parquet croit y voir une source de financement politique occulte, les premiers fonds alimentant le compte précédant de peu la campagne législative de 1997. L'occasion pour Jérôme Cahuzac de renvoyer le procureur une fois de plus dans les cordes, l'annonce de la dissolution par Jacques Chirac étant postérieure… Avant que la petite voix de Patricia ne glisse ce grain de fiel: «Un an avant la date prévue des législatives, en 1998, ce n'est pas incompatible.»
Puis arrive 2007, et cette double rupture. Cahuzac est réélu à l'Assemblée, et surtout nommé à la Commission des finances. Un «électrochoc», proclame-t-il : «J'arrête la fraude». Il ne veut plus avoir affaire, de près ou de loin, avec ce satané compte occulte. L'occasion fait la larrone, le couple battant de l'aile. Patricia transfère la cagnotte en Suisse à son seul nom et refait le match: «Il y a déjà quelques années que mon mari me mentait. Mon but n'était pas que ce compte ne soit pas déclaré, mais que mon mari ne soit pas au courant. Il fallait me sécuriser au cas où je me retrouverais seule avec les enfants.»
En dépit de la perfidie, ses propos collent parfaitement avec la défense de son futur ex, réfutant tout lien avec ces fonds non déclarés, atteignant désormais 2,5 millions d'euros. Sauf que Jérôme Cahuzac, emporté par la vindicte, commet un impair dans la dernière ligne droite de l'audience: «Elle m'a menti, avait l'idée de se constituer un patrimoine personnel dans l'hypothèse où je quitterais ma famille.» Et de prononcer, fatalitas, le mot «spoliation».