«Il paraît que je suis un prophète de bonheur… Chapeau !» Alain Juppé fait mine de se rengorger de cette pique que lui a adressée Nicolas Sarkozy, lundi soir à Provins. Lui qui s'est surnommé il y a dix jours à La Baule, le «bonze de Bordeaux» assume, il «persiste et signe» sur son concept d'«identité heureuse», raillée par les sarkozystes. Une naïveté dans cette France plombée par la menace terroriste ? Qu'à cela ne tienne. Soucieux de démontrer combien il assume cette «ambition», Juppé en a fait le thème du premier de ses huit meetings de campagne pour la primaire de la droite, ce mardi à Strasbourg. N'en déplaise, répète-t-il, aux «prophètes de malheur et prédicateurs du déclinisme».
«Que n'ai-je entendu sur l'identité heureuse, j'ai comme tout le monde des défauts mais je peux vous dire une chose, c'est qu'après une vie d'engagement, j'ai une vision claire de la réalité de la France et de ce que vivent les Français», contre-attaque l'ex-Premier ministre qui avait employé cette formule pour la première fois dans un livre collectif, Les 12 travaux de l'opposition, paru en 2014. A ses adversaires qui caricaturent son concept en diagnostic candide au vu des tensions qui traversent aujourd'hui le pays, lui rappelle que son mantra «n'est naturellement pas un état de fait» mais «ce vers quoi je veux vous conduire». Et de riposter contre ceux qui se «complaisent dans le fatalisme» et contre «les nationalismes qui rêvent d'en faire une identité aigrie».
La «tradition d'accueil» française
L'Alsace lui semblait le lieu adéquat pour réaffirmer sa ligne qu'il veut équilibrée. Une région dont il vante «la belle harmonie entre sa forte personnalité et son patriotisme ardent». Le favori des sondages voit l'identité française ainsi : «le fruit de nos racines et l'unité de notre nation». Ou encore : «une société respectueuse de nos différences mais soucieuse de l'unité de la République». Tout au long de son discours, au Palais des congrès devant quelque 2 000 partisans, il tente de tenir ses deux bouts.
De cette France, il célèbre notamment sa «tradition d'accueil» qu'il veut « garder vivante ». «La France serait-elle la France sans Marie Curie venue de Varsovie, Apollinaire né sujet polonais de l'empire russe, Picasso qui vit le jour en Espagne ?», etc. Mais parallèlement, il affiche sa fermeté en prônant «la maîtrise des flux migratoires», via un «système de quotas voté par le Parlement chaque année qui définirait nos capacités d'accueil par pays et par professions», un droit du sol conditionné, pour l'enfant né en France, à la régularité du séjour d'au moins un des deux parents à la naissance, ou une restriction des conditions du regroupement familial.
Sur ce point, il marque toutefois sa différence avec son rival, qui compte le suspendre quand Juppé estime que dans certains cas, «l'humanité est la plus sage à condition (que la personne immigrée) puisse justifier d'un contrat de travail pour faire vivre sa famille». Dans la capitale de l'UE, s'il promet de mener une campagne résolument «pro-européenne», il envisage aussi de réformer «profondément Schengen».
«Un seul mandat, un seul président»
«Je ne veux pas d'un pays où l'attachement aux origines, légitime, prévaudrait sur le sentiment d'appartenance à la nation», prévient aussi Alain Juppé, s'offrant un long passage sur la laïcité, «au cœur de notre nation». Une charte de la laïcité devra être passée, propose-t-il, entre la République et les représentants de l'islam. Là encore Juppé veut montrer qu'il ne transige pas : «La République et ses fondements ne sont pas négociables. En France, le troisième grand monothéisme doit devenir pleinement un islam de France.»
Fidèle au «code de bonne conduite» qu'il s'est fixé, Juppé a laissé son soutien, l'eurodéputé, Arnaud Danjean, rappeler que «ce n'est pas celui qui parle le plus fort qui est le plus efficace». Dans la guerre contre Daech, «on ne défait pas l'ennemi à coup de déclarations martiales et de grandes incantations», a encore averti l'ancien de la DGSE. Tout juste le maire de Bordeaux a-t-il visé implicitement son rival, en assurant que lui ne s'est lancé dans cette campagne «ni par esprit de conquête ou de reconquête ni par esprit de revanche ni par désir du pouvoir pour le pouvoir». Applaudissements de ses partisans qui, pour certains, portent un autocollant «un seul mandat, un seul président».
Si zen que cela, le candidat qui promet «une campagne joyeuse» ? Plus tôt dans l'après-midi, Juppé s'est agacé des questions des journalistes, trop insistants, selon lui, sur ce sujet de l'identité que sarkozy a érigé en «premier combat». «Il y a d'autres sujets», peste Juppé, citant notamment le chômage. Il s'est même franchement rebiffé lorsqu'il a été interrogé sur l'attaque de Nicolas Sarkozy, qui la veille, avait dénoncé, sans nommer Juppé, «les accommodements prétendument raisonnables avec les extrémistes». «Il a cru qu'on l'attaquait sur son attachement à la laïcité», explique après coup son équipe.
Si la formule doit rester en fil rouge de sa campagne, le meeting de Strasbourg venait clôturer cette séquence de l'identité heureuse, avant d'explorer de nouveaux thèmes dans les jours à venir, comme celui de l'enseignement supérieur lors d'une visite à la fac de Cergy prévue lundi prochain. «L'avantage, avec Sarkozy qui ne parle que de l'islam, c'est qu'il nous reste un terrain de jeux assez énorme», ironise un proche.