«Je crois qu'il y a eu un petit bug au départ.» Le 26 février, sur Facebook (qui compte 31 millions d'utilisateurs en France), le «dialogue» vidéo organisé par Marine Le Pen sur sa page au million d'abonnés a du mal à démarrer. Confortablement installée devant la bibliothèque de son bureau, la présidente du Front national apparaît bien à l'écran, mais le son, lui, a du mal à passer. Qu'importe : après tout, «cet exercice est une première, la première vidéo directe sur Facebook d'un responsable politique», se réjouit la candidate.
Un mois plus tard, c’est le président de Les Républicains, Nicolas Sarkozy, converti depuis 2012 à Facebook, qui se prêtera au jeu. Quant au Premier ministre, Manuel Valls, c’est par écrit, mais toujours sur le réseau social, qu’il a défendu des mesures aussi controversées que la déchéance de nationalité pour les terroristes étrangers ou la loi travail.
Proximité. Avis d'obsolescence pour les émissions politiques ? Si la compétition électorale est plus que jamais un objet médiatique, sa mise en scène se partage entre une multitude de supports. Suivis pas à pas par les chaînes d'info en continu, les politiques sont aussi les protagonistes plus ou moins consentants des programmes d'«infotainment» façon Petit Journal.
Mais ce sont surtout les réseaux sociaux qui font aujourd’hui office de canal alternatif, bien souvent à l’initiative des politiques eux-mêmes. Leur arrivée en ligne ne date certes pas d’hier. La nouveauté de la campagne semble être le caractère incontournable de la vidéo web diffusée en direct, puis revisionnable à volonté - sur Facebook, mais aussi sur YouTube ou Periscope. Objectif : toucher une audience que ne passionnent pas forcément les émissions politiques traditionnelles ; faciliter la circulation du discours grâce aux partages ; mais aussi contourner le «filtre» des médias traditionnels en s’adressant directement au public, l’impression de proximité et l’absence de contradicteur en bonus, tout en déterminant soi-même le format de l’exercice.
Ce dernier point revêt une importance particulière pour les mouvements qui, comme le FN, s'estiment maltraités dans les médias. Il n'est d'ailleurs pas anodin que celui-ci ait été, en mai 1996, le premier grand parti français à lancer son site web, deux semaines avant les Verts. Il s'agit alors d'«expliquer le FN et ses propositions sans le filtre médiatique et briser par là le mur du silence qui nous entoure», et de «communiquer directement et à moindre frais avec notre public», détaille à l'époque le magazine frontiste Français d'abord. Une stratégie jamais abandonnée depuis par le parti d'extrême droite, malgré certains échecs - dont celui du réseau social maison, Les Patriotes, fermé au printemps.
Outre ses interventions sur Facebook, c'est via un blog ouvert en début d'année que Marine Le Pen s'adresse à ses sympathisants. Pour tenter d'y présenter une image proche et rassurante, loin de la «propagande» attribuée aux «médias du système». La candidate s'inscrit ainsi dans les pas de son père, qui tient depuis des années un «carnet de bord» vidéo hebdomadaire.
Maîtrise. Internet est-il pour autant l'outil miracle ? Mi-septembre, la vidéo Facebook enregistrée par Marine Le Pen le 26 février affichait quelque 380 000 visionnages. Un chiffre rondelet et pourtant bien loin des 2,3 millions de téléspectateurs réunis dimanche dernier devant TF1, pour le passage de la candidate frontiste dans l'émission Vie politique. Qui plus est, la logique affinitaire des réseaux sociaux fait qu'un message partisan a de grandes chances de toucher prioritairement des individus déjà convaincus, plutôt que de convertir d'anciens indécis. Reste enfin à maîtriser les outils. François Hollande a ainsi fait, en mars, l'expérience de la «démocratie directe» des réseaux sociaux à l'occasion d'un déplacement à Saint-Denis retransmis sur Periscope. Faute d'avoir fermé la vidéo aux commentaires, celle-ci s'était vue inondée de nombreuses invectives à l'adresse du chef de l'Etat.