Les traditionnelles conférences de rentrée des médias ont en ce mois de septembre un point commun. A un moment, les directeurs de chaîne s'arrêtent dans leur présentation, prennent un air grave et pénétré et, comme s'il s'agissait d'une décision iconoclaste, annoncent plus ou moins dans les mêmes termes : «Cette année, nous avons choisi de mettre le paquet sur la politique.» Comme tout le monde, a-t-on envie de leur répondre. Même les bleus en la matière, tels que M6, C8 (ex-D8), TMC ou Numéro 23, s'y mettent. Rien d'étonnant, selon la journaliste Laurence Ferrari, qui présentera dimanche la première de Punchline sur C8 : avec les primaires de droite puis de gauche, l'élection présidentielle au printemps et les législatives en juin, «la politique sera le plus gros show télé de l'année». Eh oui, il n'y aura cette saison ni Euro, ni Coupe du monde, ni JO.
Méforme
Il en résulte un embouteillage de programmes dédiés, alimenté par la montée en puissance des antennes secondaires de la TNT et la multiplication des chaînes d'info. Rien que cette semaine, on pourra découvrir quatre nouvelles émissions : outre Punchline sur C8, C Politique (nouvelle formule) et C Polémique arrivent dimanche sur France 5, tandis que France 2 lance ce jeudi soir sa nouvelle grand-messe, avec Nicolas Sarkozy comme premier invité (lire ci-contre). Elle a été baptisée l'Emission politique, histoire d'affirmer qu'elle se veut la référence. A cette liste, on serait tenté d'ajouter Quotidien sur TMC, tant le nouveau divertissement de Yann Barthès traite de la chose publique. Y a-t-il un risque de saturation ? «Je ne crois pas, répond Laurence Ferrari. On peut avoir l'impression aujourd'hui qu'il y en a trop, mais les émissions vont s'assembler et les téléspectateurs vont faire leur marché. Les Français sont passionnés par la politique.»
Cette avalanche de nouveaux programmes est aussi un symptôme de la méforme du genre. Le format traditionnel, basé sur un échange de questions-réponses d’actualité entre journalistes et politiques, est usé jusqu’à la corde - même s’il fait encore la joie des matinales radio, dans des formats souvent plus courts. Articulé autour de ce schéma, le modèle depuis 2011, Des paroles et des actes, a été supprimé par France 2. Après avoir dépassé les 20 % de part d’audience lors de la présidentielle de 2012, il tombait de plus en plus souvent sous la barre des 10 % la saison dernière. De plus, les clash retentissants avec Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen - cette dernière, en refusant de venir, avait conduit à l’annulation de l’émission - ont abîmé encore un peu plus l’image du programme.
Pour sortir du lot, les chaînes tentent cette année de renouveler l'offre, quitte parfois à mouliner de vieilles recettes. «Chacun va dire qu'il est différent, mais en ce qui nous concerne, c'est vrai», rigole Karim Rissouli, qui animera C Politique sur France 5. «Notre émission n'est pas construite autour d'un invité politique, qui est la star dans 95 % des cas. C'est un magazine qui fait de l'enquête et du reportage sur l'actualité politique, qui produit de l'information. Notre star, c'est la matière politique.» A C8, on a aussi décidé de bâtir Punchline autour de sujets d'images, qui occuperont 60 % du temps d'antenne. L'émission cible une audience jeune. Son objectif éditorial est de «décrypter les petites phrases de la campagne qui ont percolé dans l'opinion», selon Laurence Ferrari, qui avait innové avec la création, en 2006, de Dimanche + sur Canal.
«Débat parasité»
Il y aura toutefois une interview (avec Arnaud Montebourg comme premier invité), mais elle sera mise en scène par un dispositif a priori judicieux. Baptisée «l'effet boomerang», elle confrontera l'invité à l'évolution de ses propres idées via des archives vidéo. «Parce que le débat est parasité par les promesses non tenues», justifie Laurence Ferrari. Façon de coller avec l'humeur du pays, très dubitative quant à la sincérité de la parole politique. «C'est vrai, elle est de moins en moins audible. Les gens ne croient plus aux messages des responsables politiques», approuve Alix Bouilhaguet, l'une des rédacteurs en chef de l'Emission politique de France 2.
En cette année électorale, le principal casse-tête des chaînes de télé est là : comment donner envie aux téléspectateurs de se passionner pour les propositions de personnalités alors que tous les sondages indiquent qu’ils s’en méfient profondément ? M6 a décidé d’envoyer au feu une figure bien connue du grand public, Karine Le Marchand. Dans Une ambition intime, l’animatrice de l’Amour est dans le pré tentera d’arracher des confessions aux candidats à la fonction suprême, témoignages de proches à l’appui. On risque d’y voir plus de larmes couler que d’idées s’y exprimer. La chaîne présente l’émission à la presse ce jeudi, mais la photo accompagnant le communiqué laisse imaginer le ton : on y voit Karine Le Marchand nonchalamment assise sur un canapé pourpre, dans un appartement à moulures rempli de bouquets de fleurs et de bougies…
«Réalité du terrain»
Coincée par son statut de grande chaîne de service public, France 2 n'a, quant à elle, pas vraiment le choix : elle doit donner la parole aux acteurs politiques, sur la longueur, de sorte qu'ils puissent dérouler leurs arguments. Le schéma de la grande interview, qui fonctionne très bien dans le On n'est pas couché de Laurent Ruquier, est donc incontournable. «Nous y croyons encore, explique l'un des rédacteurs en chef, Michel Dumoret. Je pense que les gens ont encore envie d'entendre ceux qui sont candidats à la présidentielle. Mais nous avons voulu confronter leur parole avec la réalité du terrain. Il y aura moins de politique politicienne et plus de praticiens de la politique.» D'où un menu très découpé, qui donnera plus de place aux cas individuels et aux situations locales.
L'ambition n'est pas neuve. Depuis des années, avec ses Face aux Français et autres avatars d'interpellation directe, TF1 essaie de faire redescendre sur terre ses invités, sans toujours rencontrer le succès. «Nous ne révolutionnerons pas l'émission politique, convient Karim Rissouli, qui participe aussi au projet de France 2. Mais la personnalité des journalistes joue aussi. Une émission avec Léa Salamé, ce n'est pas la même chose qu'avec un autre journaliste.» Finalement, le secret de fabrication d'une bonne émission politique tiendrait, davantage qu'à son concept, à la qualité de ses équipes rédactionnelles. Ce jeudi, pour Léa Salamé et David Pujadas, ce sera l'heure de vérité.