Le lycée Suger, à Saint-Denis (93), est toujours en grève. Depuis la rentrée. Quelques cours ont quand même repris cette semaine, mais 35 professeurs sur la centaine de l'établissement poursuivent le mouvement depuis dix jours maintenant. Dans cette tribune, ils expliquent les raisons de leur colère. Reçus au rectorat et au ministère cette semaine, ils estiment que leurs revendications ne sont toujours pas entendues.
Le jour de la rentrée, notre lycée a, en toute logique, craqué. Le déclencheur? Une intrusion dans l’établissement, puis l’agression de l’un des nôtres. Un surveillant souffre d’une fissure crânienne, multiples contusions, quinze jours d’arrêt de travail. A noter – et sans minimiser la gravité de ces violences –, la résilience est quotidienne: incivisme, vandalisme, sexisme, racket, trafic, agressions… Nous manquons d’humains: un assistant d’éducation pour 173 élèves (alors que cela devrait être 1 pour 113), des personnels précarisés, des postes vacants non affectés. Nous avons interpellé le ministère de l’Education. Nous avons été reçus lundi mais la réponse n’est pas satisfaisante. Sur les 15 postes d’assistant éducation que nous demandons, le ministère ne nous en promet qu’un, à ce jour.
Aujourd'hui, nous n'avons d'autre choix que la lutte car la «faim» justifie les moyens qui nous sont refusés. Nous sommes tous à bord, solidaires. Assistants d'éducation, parents d'élèves, anciens élèves, profs, étudiants, stagiaires, futurs bacheliers, futurs Science-Po ou Dauphine, élèves nés des cordées de la réussite, Golden Boys Suger… Nous nous battons, avec espoir car comme Rousseau nous le savons: «Il n'y a point de bonheur sans courage et de vertu sans combat.»
Au combat, nous y étions. 12 Septembre 1994 : notre lycée Suger ouvrait ses portes, un vrai défi. L’établissement est en plein cœur du quartier du Franc-Moisin, à Saint-Denis (93). Ce quartier, longtemps amoché et profondément stigmatisé, se métamorphosait. Suger était un pari, il l’est toujours. Un pari politique avant tout. Celui de désenclaver, d’intégrer, d’insuffler du vivre ensemble et de créer de la réussite au cœur des quartiers populaires. Nous sommes au front, depuis le début. Parmi nous, six enseignants sont là depuis le départ, mémoire collective d’un combat mené jour après jour. Quelques jours avant l’ouverture du lycée, ils étaient au travail, avec leurs pinceaux et tournevis pour les derniers travaux. Depuis, nous n’avons pas tari de rêves, d’idées, de projets et d’énergie. Notre effort collectif a payé. Suger est devenu un lycée des métiers de l’image et du son. Un pôle unique en France. Nos jeunes viennent de partout. Nous avons une section cinéma audiovisuel, un BTS audiovisuel, un bac pro photo, une licence pro technique journalistique pour les nouveaux médias… Et l’insertion sur le marché du travail à la clé: 75% des élèves de BTS audiovisuel ont un emploi à la sortie !
Jusqu’ici, nous avons tenu la barre, de la première rentrée à cette dernière, non consommée. Nous ne pouvons ni ne voulons être un rempart, pas davantage un «sanctuaire» sécuritaire. Nous sommes un lycée de la République, lieu de vie et de dialogue. Et à l’instar de toute logique ministérielle, de «monologues de gestion», de discours sécuritaire, «réponse globale», nous revendiquons les moyens de ce pari que vous-même avez lancé et que vous vous devez désormais de tenir.
Entendez-le, nous ne sommes pas un «sanctuaire» banlieue, destiné à assigner nos jeunes à résidence, à formater le silence puis l’échec. Nous sommes humains avant toute chose. Nous voulons des moyens humains.