Menu
Libération
Analyse

Blanchiment de fraude fiscale : le parquet fait sauter la banque

Une amende maximale a été requise par le tribunal correctionnel contre l’établissement suisse Reyl.
publié le 15 septembre 2016 à 19h51

Pas de blanchiment ni de fraude fiscale sans banquier. Dans l'affaire Cahuzac, c'est la banque Reyl, sise en Suisse, qui s'y colle, jugée en tant que personne morale et en la personne physique de son patron, François Reyl. Mercredi, le parquet a requis une amende de 1 875 000 euros contre la première (le maximum légal) et dix-huit mois de prison avec sursis contre le second, après leur avoir envoyé une volée de bois vert : «Parfaite violation des normes élémentaires de lutte contre le blanchiment des capitaux», qui plus est «activement et consciemment» , le tout «donnant le spectacle d'une banque totalement dénuée du moindre scrupule moral». N'en jetez plus. Reyl n'est pourtant pas la plus tordue des banques, loin de là. Cette petite structure dédiée à la gestion de fortunes (2 500 clients disposant d'un patrimoine supérieur à 900 000 euros, tout de même) se contente de faire son trou en restant à sa place. Elle n'aurait jamais fait parler d'elle en dehors des salons feutrés genevois sans ce client désormais mondialement célèbre, Jérôme Cahuzac. Ses avocats trouvent saumâtre le fait qu'elle soit la seule banque sur le banc des prévenus : la Royal Bank of Scotland, offrant ses compétences aux époux Cahuzac pour piloter un compte offshore sur l'île de Man, aurait pu en être, comme deux autres établissements suisses. «Des confrères banquiers mériteraient d'être à sa place», relève Me Kyril Bougartchev, l'avocat de la banque.

Querelle de ménage

Lors de l'affaire Nina Ricci, premier procès diligenté par le parquet national financier (PNF, créé dans la foulée du scandale Cahuzac), d'aucuns s'étaient étonné que seule l'héritière du groupe de luxe planqué en Suisse soit poursuivie pour blanchiment de fraude fiscale, en compagnie d'un avocat fiscaliste mais sans son banquier. Oubli réparé dans le dossier Cahuzac : il y aura bien des banquiers sur le banc. Paul-Albert Iweins, autre avocat de la banque Reyl, ose la caricature : «Le PNF agite l'idée que la Suisse fait des trucs pas bien, donc il faudrait condamner une banque suisse.»

Au-delà des légitimes effets de manche, les faits : la banque Reyl a joué tout son rôle pour contribuer à opacifier un peu plus les revenus occultes de Jérôme Cahuzac. Non content d'ouvrir un compte en Suisse dès 1992, le ministre déchu avait demandé en 2009 à son banquier une discrétion accrue, sur fond de querelle de ménage et d'élection à l'Assemblée - deux bonnes raisons de se planquer un peu plus. Lequel s'exécute avec diligence et professionnalisme : transfert des fonds à Singapour, via «une cascade de six sociétés écrans, logées à Panama, aux Seychelles et à Samoa», pointe le parquet. A la barre du tribunal, François Reyl explique que le recours à des coquilles panaméennes relèverait davantage de la logistique que de l'évasion : des sociétés «faciles à ouvrir et à fermer» , une fois remplie leur mission de faire transiter les fonds. Et qu'il «existe mille raisons autres que fiscales de souhaiter la discrétion» bancaire. Et de citer l'exemple d'une épouse, d'une concierge… A entendre et regarder François Reyl, animé par le seul souci de bien faire pour ses clients, de garantir le respect de leur vie privée, on lui donnerait le bon dieu sans confession. Il va jusqu'à trouver «regrettables» des choses qui «se faisaient dans le passé», relevant de la «banque à papa» , suggèrent ses avocats, en hommage douteux à Dominique Reyl, son père et fondateur de la banque du même nom. Ce que François n'aurait osé dire lui-même.

la conscience d’un banquier suisse

C'est pourtant là l'autre élément matériel - la banque à papa, autrement dit «à l'ancienne» - reproché à l'entreprise Reyl. En 2011, sous la direction du fils, elle met 20 000 euros en liquide à la disposition de Jérôme Cahuzac, lequel entend ainsi financer en grande pompe le mariage de sa fille. «Un inconnu se présente à la banque, passe la frontière puis remet un sac de billets à un autre inconnu et personne ne vérifie rien», résume le vice-procureur, Jean-Marc Toublanc. On est ici bien loin de la gestion de fortune ou de la mécanique offshore. François Reyl minaude : «Nous n'avons jamais eu recours à des officines [de transfert de fonds, ndlr], la remise est faite par une personne de confiance.» Mais celle-ci semble avoir engourdi la moitié du pognon, puisque Jérôme Cahuzac ne récupérera que 10 000 euros sur un trottoir parisien. Le responsable bancaire ayant diligenté la manip écopera d'un avertissement verbal, deux ans plus tard, une fois la banque mise en examen en tant que personne morale.

Pour se dédouaner à moindre frais ? «Le banquier suisse a sa conscience de banquier suisse, plaide Me Bougartchev, tentant d'amadouer le tribunal correctionnel français. Il n'a pas de devoir d'investigation sur son client, plutôt un devoir de non-ingérence.» Et si la banque Reyl s'est alarmée un jour au sujet du compte de Jérôme Cahuzac, c'est «à propos de sa position de futur ministre, pas de sa situation fiscale». Me Iweins, autre avocat de la banque, en rajoute sur la dichotomie franco-suisse : «En France, l'idée est répandue que la Suisse s'enrichit du malheur des autres. Mais savez-vous que l'impôt y est lourd ? Il y a même un ISF local !» Mais cela ne vaut que pour les ressortissants officiellement déclarés outre-Léman. Nonobstant, la banque Reyl a déjà été condamnée en France pour blanchiment de fraude fiscale, l'an dernier, en marge de l'affaire Cahuzac : 2,8 millions d'euros d'amende pour avoir clandestinement hébergé six comptes de contribuables français (9,3 millions d'avoirs non déclarés). Transaction pénale destinée à «mettre fin à un déchaînement médiatique», se justifie la banque, protestant de sa bonne foi après avoir «tout mis sur la table». Rappel à l'ordre du président du tribunal : «Ce n'est pas une transaction, c'est une reconnaissance de culpabilité.»