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Libération
Éditorial

Bygmalion : l’enfumage façon Sarkozy

publié le 16 septembre 2016 à 20h11

«Ma probité est vierge» : avec une cruauté qui n'est peut-être pas tout à fait volontaire, le Figaro a choisi de mettre en exergue, dans son édition de vendredi matin, cet énoncé baroque de Nicolas Sarkozy. Sans doute voulait-il plutôt dire que sa probité était entière… et non pas nulle comme de mauvais esprits pouvaient, en toute logique, être tentés de le comprendre.

Pour les téléspectateurs qui l’ont écouté jeudi soir sur France 2 - ils étaient 2,7 millions, un score passable - il n’y avait, quoi qu’il en soit, aucune ambiguïté. Interrogé sur l’affaire Bygmalion, l’ancien chef de l’Etat a très énergiquement proclamé son innocence.

«J'ai été lavé de toute accusation mettant en cause ma probité», «tout le monde sait que je n'ai rien à me reprocher», a-t-il lancé, la main sur le cœur. Tout le monde sauf les juges qui l'ont mis en examen pour «financement illégal» de sa campagne présidentielle de 2012. Tout le monde sauf le procureur qui a requis le 5 septembre son renvoi en correctionnelle. Pour mémoire, il est reproché à l'ex-président d'avoir dépassé de 23 millions le plafond des dépenses électorales, fixé à 22,5 millions d'euros.

Dans un numéro d'enfumage très bien préparé et exécuté avec brio, Sarkozy a confié que le juge d'instruction s'était presque excusé de devoir le mettre en examen pour un délit «purement formel». Pour mieux embrouiller son public, il a ajouté, avec une inébranlable assurance, qu'il avait déjà payé pour cette affaire de dépassement. N'était-il pas tout de même curieux qu'on envisage de le condamner une deuxième fois pour les mêmes faits ?

Sauf à décider de sacrifier la moitié des autres sujets mis au menu de leur émission, David Pujadas et Léa Salamé pouvaient difficilement dérouler toute l'histoire pour démontrer que le scandale des fausses factures de Bygmalion - qui n'a éclaté qu'en 2014 - n'a rien à voir avec le modeste dépassement du plafond des dépenses de campagne constaté et sanctionné en 2013. «Après tout, c'est mon émission», a protesté Nicolas Sarkozy. De fait, ce fut son émission. Et il est en sorti plutôt renforcé, y compris sur le front des affaires.

C'est pourquoi Pujadas a eu raison de proposer, hélas sans succès, de s'en tenir au seul registre de la «responsabilité morale». Le journaliste de France 2 a eu l'excellente idée de rappeler à l'ancien chef de l'Etat qu'en 2008, il avait estimé, après l'affaire Kerviel, que le patron de la Société générale, Daniel Bouton, devait assumer et démissionner. «Pas d'amalgame !» a protesté Sarkozy, très agacé. Le parallèle entre les affaires Kerviel et Bygmalion a pourtant sa pertinence. Dans les deux cas, des risques énormes ont pu être pris, au service d'une banque ou à celui d'un candidat à l'élection présidentielle. Dans les deux cas, il fallait gagner. Gagner à tout prix.