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David Rachline, «lepéniste intégral»

Désigné directeur de campagne de Marine Le Pen ce samedi, le jeune sénateur et maire de Fréjus, formé sous Le Pen père, est un pur produit maison.
David Rachline (à droite) lors d’un rassemblement contre l’ouverture d’une nouvelle mosquée à Fréjus, le 24 septembre 2014. (Photo Patrick Gherdoussi)
publié le 16 septembre 2016 à 19h51
(mis à jour le 17 septembre 2016 à 9h32)

Aux «Estivales de Marine Le Pen» ces samedi et dimanche à Fréjus (Var), il y aura de la place pour les petits plaisirs. Les participants pourront profiter de dernières baignades sur les plages de la ville, et David Rachline d'un sacré coup de projecteur. Maire de Fréjus depuis 2014, plus jeune sénateur de la Ve République, Rachline symbolise l'essor du FN et cette nouvelle génération qui en cueille les fruits : quoi qu'en disent son allure et ses manières madrées, l'homme n'a pas 30 ans. Décidément précoce, l'élu a été désigné directeur de campagne de Marine Le Pen ce samedi, en amont du rendez-vous de rentrée frontiste. Il faisait figure de favori. «Marine ne voulait pas qu'il s'agisse d'un grand dirigeant du Front, pour ne pas que telle ou telle sensibilité semble prendre le dessus sur les autres, explique un cadre du parti. David est assez consensuel.» Ce qui n'est pas une petite vertu dans un FN où, selon un acteur bien placé, «tout le monde se déteste» sans bruit.

Apparatchik. «David est bluffant, ce doit être le seul philippotiste du Sud-Est», sourit un élu régional de Paca. «Il est très bon, doit elle-même constater la socialiste fréjusienne Elsa Di Méo. Il est protéiforme, il épouse simultanément toutes les nuances de sa famille politique.» Sur ce point au moins, elle et lui pourraient s'entendre : formé sous Jean-Marie Le Pen, qu'il a profondément admiré, éclos sous Marine Le Pen, qu'il soutient sans réserves, David Rachline se présente parfois comme un «lepéniste intégral». Et maîtrise aussi bien la charge radicale du discours frontiste que les impératifs de la «dédiabolisation».

Sa victoire municipale a couronné un parcours d'apparatchik, qui l'a vu diriger la branche jeune du Front national entre 2008 et 2011. «Dans ses années lycée, à Fréjus, c'était un petit gars d'extrême droite assez isolé, se souvient Elsa Di Méo, alors surveillante dans le même établissement. Puis il est parti bosser au siège du Front et lorsqu'il est revenu, c'était un politique achevé. Tout son comportement est modelé par ça. Tout est mis en scène, maîtrisé, contrôlé.»

Volte-face. En 2014, c'est à une droite fréjusienne en pleine déliquescence que David Rachline ravit la mairie. Le maintien au second tour du maire UMP sortant, Elie Brun, permet au frontiste de l'emporter en triangulaire. Loin de renverser la table, l'adaptable Rachline s'insère alors dans le système local. Selon un excellent connaisseur des affaires fréjusiennes, «Brun a offert la victoire au Front à condition que Rachline prenne soin de quelques proches, qui travaillent toujours à la mairie aujourd'hui». Scénario «grotesque», conteste le jeune homme, qui assume toutefois son «respect» pour l'ancien maire : «Oui, quand j'ai besoin d'un conseil, il m'arrive de le lui demander.» D'Elie Brun, Rachline a aussi hérité les contacts avec le magnat des déchets Francis Pizzorno ou le constructeur Alexandre Barbero, par ailleurs président du club de football de Fréjus Saint-Raphaël. «Il n'y a pas de rupture avec le système local, avec les notables, accuse Elsa Di Méo. Il a simplement rajouté au clientélisme traditionnel le système FN.»

La synthèse rachlinienne a tout de même ses limites, ont constaté les musulmans fréjusiens. Opposé durant la campagne à l'ouverture d'une nouvelle mosquée, le maire tout juste élu montre patte blanche : «Après les élections, on l'a rencontré dans un bistrot près de la mairie, raconte un membre de l'association culturelle El Fath. Il nous a dit que la campagne était passée, qu'on allait apaiser les tensions et qu'il ne nous casserait pas la tête tant que les financements ne viendraient pas de l'étranger.» Une rencontre confirmée par Rachline qui fera pourtant volte-face sous la pression, notamment, du site identitaire Fdesouche, poids lourd de la fachosphère. Officiellement motivée par des raisons d'urbanisme, sa croisade judiciaire reste sans effet à ce jour, mais apparaît comme un gage de conformité frontiste. Tout comme ce conflit «doncamillesque» avec le quotidien local Var Matin, objet de virulentes attaques dans le bulletin municipal.

Champagne. Au moins le nouveau maire n'a-t-il pas perdu le sens de l'amitié. Autrefois proche du polémiste «antisioniste» Alain Soral, David Rachline cultive aujourd'hui ses accointances avec la «bande des prestataires» : un réseau d'anciens militants d'extrême droite radicale reconvertis dans les affaires, et notamment dans la communication ou l'événementiel. Ceux-ci jouent désormais les prestataires de services auprès du FN et, pour certains, de la mairie de Fréjus. De bons rapports que ne devrait pas contrarier la nomination de Rachline - même si celui-ci fait désormais mine de ne pas connaître le pilier de la bande, l'ancien leader du GUD Frédéric Chatillon, patron de la société Riwal, proche de Marine Le Pen, et principal mis en cause dans l'inquiétante affaire Jeanne, du nom de ce microparti au cœur d'un dossier de financement électoral litigieux du FN.

Avec ces singuliers amis, l'élu partage aussi le goût de la fête. «David se met en danger, maugrée-t-on en interne. Son électorat, ce sont des gens qui ne pourront jamais mettre 150 euros pour une bouteille de champagne dans un bar lounge.» De quoi rappeler, si on l'avait oublié, que Monsieur le sénateur n'a pas 30 ans.