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Libération
Dédiabolisation

Marine Le Pen sculpte sa stature présidentielle

Ce week-end à Fréjus, le présidente du Front national devrait confirmer sa stratégie : lisser son image. La manœuvre, déjà tentée par son père, suffira-t-elle à faire sauter les derniers tabous du vote frontiste ?
A Fréjus, le 7 septembre 2014 lors de l'université d'été du Front national de la jeunesse. (Photo Olivier Monge. Myop)
publié le 16 septembre 2016 à 19h51

C'est un petit rituel qui se met en place sur Twitter après chaque passage télévisé de Marine Le Pen. Un par un, les hauts cadres du Front national y vont de leurs félicitations à la présidente frontiste pour sa prestation forcément exceptionnelle. Dimanche dernier, celle-ci participait à l'émission Vie politique sur TF1. Sur le réseau social, tel partisan se dépêchait de noter son «calme olympien». Tel autre la voyait «sereine, combattante, bien au-dessus du marigot politique». Un troisième louait la «hauteur de vue» d'une «Marine tout à fait présidente». On peut rire de ces courtisaneries ; au moins leurs auteurs savent-ils par où flatter la candidate. «Faire présidente», s'élever au-dessus d'une droite en pleine surchauffe et d'une gauche sans tête : telle est bien la grande affaire de Marine Le Pen pour les mois à venir. Elle devrait à nouveau s'y essayer à Fréjus, dans le Var, où s'ouvrent ce samedi ses «Estivales». «Vous allez entendre un discours de très haute volée, s'enflamme un proche. Si Sarko s'imagine qu'il suffit de faire "pouët pouët" sur une estrade pour l'emporter, il va être étonné.»

Second tour

Au Front national, une conviction a fait son chemin : la bataille des idées serait gagnée ou en voie de l'être. Tout n'est certes pas réglé et de nombreux électeurs demandent encore à être persuadés des bienfaits d'une sortie de l'euro. Mais sur les questions identitaires, migratoires et sécuritaires, impossible de distinguer à coup sûr le discours d'une bonne partie de la droite de celui de Marine Le Pen. «Nous n'avons pas besoin d'en rajouter, nous sommes reçus à cinq sur cinq par les Français, juge Sébastien Chenu, ex-cadre de l'UMP passé au Front. Tout le monde vient sur nos plates-bandes. Sarkozy est une machine à fabriquer de nouveaux électeurs FN.»

Désormais, explique un conseiller, «il faut lever un tabou : celui de l'électeur qui trouve que Marine a bien raison mais qui ne vote pas pour elle… parce que c'est elle». A cela s'ajoute un autre écueil : pour le sondeur Jérôme Fourquet (Ifop), «le FN reste le seul parti qui peut amener certains électeurs, notamment de gauche, à voter contre leurs convictions afin de lui faire barrage, comme on l'a constaté lors des dernières régionales».

Cinq ans après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front national, son image demeure en effet extrêmement contrastée. «Critique tout le monde», «intolérante», «raciste», «démagogue», «manque de compétence» : autant de traits qu'une majorité de Français attribuent à la présidente du FN, selon une récente enquête TNS-Sofres. Ce qui n'en fait pas a priori une bonne candidate pour le second tour de la présidentielle, d'autant que le parti d'extrême droite n'a pas d'alliés potentiels. «Sereine», Marine Le Pen ? En juin, France 2 diffusait une reconstitution des débats internes du FN. Des acteurs y interprétaient les principaux responsables du parti, sur la base de citations authentiques. L'eurodéputée était campée en femme crispée et cassante, menant à la cravache un appareil divisé. «Méchant, mais pas faux», commentait-on alors à voix basse au sein du parti. «L'autorité, ça ne se surjoue pas, ça s'incarne», renchérit un partisan de la députée du Vaucluse Marion Maréchal-Le Pen.

Logo

C'est donc sous le signe de la «stature présidentielle», déjà dans une stratégie de second tour, que Marine Le Pen a placé sa rentrée. Prolongeant une (toute relative) diète médiatique ; assurant de son attachement à l'Etat de droit, au contraire d'une partie de la droite ; martelant son indifférence à l'origine ethnique ou religieuse de ses concitoyens ; assumant encore et toujours l'exclusion de Jean-Marie Le Pen. Lors de son discours de rentrée à Brachay (Haute-Marne), la présidente du FN a renvoyé ses adversaires à «leurs chicaneries politiques, leurs combinaisons de circonstance» pour mieux revendiquer, elle, de «prendre [ses] distances avec les sujets futiles du quotidien». Quant à savoir si l'islam est compatible avec la République, elle répond : «Je crois que oui», s'agissant d'un «islam laïcisé par les Lumières».

La candidate s'efforce enfin de détacher son image de celle du parti, dont le logo n'apparaît plus sur ses dernières affiches. Conforme à l'esprit de la présidentielle, cette personnalisation revêt un intérêt particulier pour le camp lepéniste : «Il y a des gens qui reçoivent un tract FN et ne le lisent pas juste à cause du nom», expliquait en début d'année Florian Philippot, vice-président du parti.

Mot pour mot

Ce lissage n'a rien de neuf. En 2002 déjà, Jean-Marie Le Pen et son équipe avaient tenté d'adoucir l'image du vieux candidat. «A l'évidence, ce nouveau Le Pen a rompu avec les postures hargneuses ou choquantes, dans lesquelles [il s'était] souvent cantonné», notait alors le quotidien la Croix. «Jean-Marie Le Pen, lorsqu'il est interviewé à la télévision, ne dit pas un mot plus haut que l'autre, relevait de son côté le Figaro. Il s'exerce à rester "zen" [face aux] questions agressives ou mal intentionnées.»

Dans son équipe de campagne, la tactique est alors encouragée par de jeunes loups «dédiabolisateurs», dont Marine Le Pen. «Nous ne faisions pas la campagne du Front, mais celle de Jean-Marie Le Pen, se souvient Jean-François Touzé, alors l'un d'eux. Il fallait effacer le Le Pen avec le menton en avant, pour le faire renouer avec ce qu'il était au fond : un type cultivé, sympa et amusant.»

Une quinzaine d'années plus tard, ce programme est presque mot pour mot celui de l'équipe mariniste. «Il faut démocratiser son image, la faire passer pour ce qu'elle est : quelqu'un de plus sympathique et de moins dur que ce qu'on imagine», explique un conseiller. Avec quelles chances de réussite ? Pour Jérôme Fourquet, le succès de la manœuvre est loin d'être acquis : «Sur ce genre de sujets, on est dans l'histoire longue. Le phénomène contre lequel veut lutter le FN remonte à trente ou quarante ans. À la tête du parti, il y a toujours une Le Pen, et même des électeurs très éloignés de la politique ont un avis bien arrêté à son sujet. C'est à la fois une force et une faiblesse : cette image très installée sera dure à faire bouger.» Lors des régionales de décembre, rappelle le sondeur, «une majorité d'électeurs s'est mobilisée pour que le FN n'ait pas la main sur les lycées, les transports et la formation. On voit mal, au moment où nous parlons, pourquoi il n'en serait pas de même s'agissant de la magistrature suprême».